Premier Verset

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L'air autour de la basilique est pur.

Dieu a vécu à Jérusalem.

La basilique de Jérusalem héberge le souffle de Dieu.

Et celui de Jimin aussi.

Mais il est faible, erratique, pénétré de crainte. Pétri d'appréhension. Rejeté de ses poumons, comme Jimin tente de rejeter les mains qui le palpent. Le moulent. Le touchent sans qu'il veuille être touché. Le touche en plein cœur parce que la sensation de ces mains lui convulse les épaules, lui soulève l'épiderme, le fait tomber dans le bain d'abord tiède de sa peau, puis glacé de ses entrailles qui se contorsionnent sous l'effet de la peur, du dégoût, et étrangement de l'admiration, face au décor centenaire de la basilique.

Les dalles somptueuses qu'il foule aux pieds, en marbre de Carrare aussi lisse que solide, les pierres rugueuses des piliers qui assurent un fondement vers le ciel, les ogives en onyx scintillant semblables à des dames de pique qui courent le long des coupoles, et s'élancent dans les bras de leur vitrail bien-aimé de la façade sud, celui qui a valu à l'édifice le surnom de « Cathédrale de l'Orient ». Et Jimin ne se lassera jamais de contempler la vision qu'offre la basilique chaque matin à ses gardiens les plus fidèles, celui d'un vitrail en saphir jaune qui se laisse consciemment enveloppé de soleil, rayonne d'un or brunoyant pour venir éveiller les vitraux bleus des bas-côtés. Jimin ne cessera pas d'en sentir son être tout plein s'en suspendre avec les particules de lumière qui s'immobilisent en méditation devant l'un des emblèmes de la ville. Pas même quand les mains de frère Matthias s'attardent avec insistance sur l'inclination de ses hanches. Ou lorsque ses doigts poisseux glissent un peu plus bas, jusqu'à caresser sans tact ni délicatesse la courbure de ses fesses.

Jimin n'a jamais connu la délicatesse. La douceur non plus. Il l'a entrevue, certes. Chez les vestales de Damas, aux allures inaccessibles, qui étaient venus en visite à la basilique quand il apprenait encore son Notre Père. Chez les magnifiques femmes aux foulards soyeux et miroitants qu'il croisait dans les allées des souks, aux instants où l'abbé l'envoyait en expédition dans les recoins de la ville. Mais chez lui ? A la confrérie ? Les anciens lui ont inculqué foi et fermeté. Son âme est ancrée dans le royaume des hommes, mais la rigueur lui a imposé une vigueur qui lui évite d'être submergée, la maintient constamment à flot, le nez hors de la nasse aquatique et vicieuse, tendu vers le royaume des cieux. Car à défaut de croire en les hommes, Jimin croit en Dieu. Et il s'ébranlerait tout entier pour Lui. Ou plutôt, il accepterait d'être ébranlé tout entier afin de poursuivre la quête de la présence éternelle à Ses côtés. Même d'être abusé, lorsque l'objet de culte et de vénération d'un million d'âmes se trouve au centre de ses pas.

La relique est conservée dans un écrin sobre, d'un contraste vertigineux avec le reste de la basilique. Le coffre est de bois, la serrure est de fer. Pas d'or, de pierreries, pas de bronze. Du bois, du fer. Parce que Christ porta une croix en bois, qu'il enlaça les mains trouées de fer. Et quand Christ se fut vidé de son sang, là-haut, on descendit son corps et découvrit son cœur. Qui se mit à battre. Et n'a jamais cessé depuis. Jimin peut l'entendre à certains moments, aussi distinctement que son propre cœur.

Chaque battement part nourrir sa foi un peu plus profondément, le rassure et lui murmure que Dieu a bien choisi Jérusalem pour prendre soin du cœur de son enfant ; alors, c'est ce qu'ils font. Toutes les nouvelles lunes sont suivies d'un rituel en l'honneur de la relique. Il débute à l'aube, juste avant laudes, et s'achève à temps pour prime. Durant cette heure, Jimin ressent un condensé de toute l'énergie spirituelle assemblée, couvée, pendant les deux semaines menant au rituel, se relâcher soudainement dans l'ensemble du monastère. Les édifices absorbent cette énergie, renaissent de la médiocrité terrestre, et le cœur du Christ n'en bat que plus fort. Bientôt cent ans que le rituel se répète, pense Jimin. Le monastère anonyme de Jérusalem regorge d'une force protectrice qui s'étend par-delà les frontières de la ville.

jusqu'au bout des mondes (à l'horizon où miroite le reflet des hommes) I ymWhere stories live. Discover now