Chapitre 1

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                 Je relève la tête, rencontrant mon propre visage. Le miroir est encadré d'ampoules rondes qui m'aveuglent par leur lumière. Je ne me vois donc pas distinctement. Je ne me sens pas à l'aise. Tout d'abord, parce que Betty m'a étalé une épaisse couche de fond de teint sur la face. Et...

-Il faudrait peut-être que tu penses à te faire une nouvelle teinture, Glint, me coupe mon amie, interrompant mes pensées.

Betty, de son vrai nom : Elizabeth Cugler. Une grande ado rousse avec des dents de lapin. Ma meilleure amie. Ce soir, elle a recouvert ses innombrables taches de rousseur et est vêtue d'une robe en mousseline jaune évasée, essayant sans doute d'attirer l'attention sur autre chose que son absence de formes. Ah oui, si vous vous demandez pourquoi elle m'appelle Glint (reflet en anglais), c'est parce que c'est mon surnom attitré. C'est parce que mes cheveux noirs, qui ont gardé un peu de leur ancienne teinture violette, ont des reflets de cette couleur. Mes yeux bruns sont parsemés d'éclats de rouilles qui me les rendent rouges sous certains angles. Et... Ouais, non, c'est à peu près tout.

-La flemme, répond-je en grognant presque.

-Arrête de faire la tête ! Ca va être génial.

Tu parles... Je passe ma langue sur mes lèvres, récoltant un gout de banane dû au rouge à lèvre cramoisi. Beurk, je n'aime ni le rouge à lèvre, ni son goût.

-Je ne me sens pas très bien, je déclare en me tortillant sur la chaise.

Betty lève les yeux au ciel.

-Tu m'étonnes ! Dommage que tu ne puisses pas aller a bal de fin d'année avec tes Docs Martens et ta centaine de bagues têtes de morts !

Evidemment, mon ami a tenu à choisir personnellement ma tenue pour la soirée. Et elle ne m'a pas autorisé à la voir. Cela va sans dire que j'ai très peur.

-Tes cheveux sont super agréables au toucher !

J'ai fini par le comprendre de moi-même, ça fait une heure qu'elle s'obstine à les tripoter.

-Et voilà ! Conclut-elle. Tu peux te lever.

Je m'exécute, non sans appréhension.

-Tu es magnifique, couine Betty.

Je me regarde, stupéfaite. Je me sens... Différente dans cette magnifique robe bustier rouge qui m'arrive jusqu'aux genoux. Une coupure a été crée pour que l'on voit ma jambe droite. De ma poitrine jusqu'à mon nombril, il n'y a que de la dentelle épaisse. Le tout me moule pour accentuer ma les courbes de mon corps. Mon rouge à lèvre et ma tenue font ressortir la couleur de mes iris.

Bon, ok, je suis belle mais je me fais l'effet d'un loup qui porte un tutu là-dedans.

-Wow, tu m'as transformé là !

J'aimerais bien déchirer cette putain de robe nulle et me foutre en jean. Elle soupire d'envie.

-Pourquoi Dieu ne m'a-t-il pas fait le même physique que le tien ?

-Tu es très jolie aussi.

Là, je mens. Betty est tout sauf jolie. Mais je l'aime et pour moi, elle resplendit.

-Allez, Dan t'attend.

Elle me prend par la main. Dan est mon petit ami depuis quatre jours. Nous le rejoindront au bal, lui et le copain de ma meilleure amie : Théo. Pendant le trajet, je me sens nue et vulnérable, si j'avais pu choisir ce que je portais, je me serais foutue en veste de tailleur et en pantalon assorti. Mais Betty m'a tannée pendant trois mois, je me suis sentie obligée de lui obéir. Elle m'a aussi forcée à retirer mes bagues. Cette soirée va être la pire de ma vie.

Nous passons les portes du lycée Shakespeare. J'entends déjà la musique. Le bal de fin d'année est un événement très populaire ici. Nous commencerons à aller à l'université l'année prochaine. Je ne vais pas aller très loin avec mon absence de mention au bachelor (nda : le bac en France). Betty s'arrête brusquement devant les casiers et je manque de lui rentrer devant. Elle prend un air grave.

-Tu sais... Commence-t-elle. L'année prochaine on sera beaucoup moins ensemble... Alors je voudrais te donner ça, Glint. Tu vas me manquer.

Elle me tend une fine chaîne d'argent auquel pend un magnifique médaillon serti d'une pierre noire comme l'ébène. Je le passe autour de mon cou, très touchée.

-Merci ! Je bredouille. Moi aussi j'ai quelque chose pour toi.

Je fouille dans mon sac. En vérité, mon cadeau est tout au-dessus et plutôt volumineux mais je fais cela pour faire durer le suspense.

-Et voilàààààà, je chantonne.

Je sors un superbe blouson en jean personnalisé. Ok, c'est kitsch mais Betty ne vit que pour le kitsch. Derrière, en grosses lettres est marqué B. K (les initiales de nos deux prénoms si vous n'aviez pas compris). Betty le prend, le regarde quelques secondes et le sert contre elle, l'air ému. En y pensant, je ne l'ai jamais vu pleurer.

-Merci, merci, merci !

Nous ouvrons nos casiers toutes les deux, moi pour mettre le gros sac et elle le blouson. Puis nous voilà devant les portes de la salle principale.

-Prépare-toi à éblouir ! S'écrie Betty.

Après avoir prononcé ces mots divinement honteux, elle pousse les battants, sans me lâcher toutefois. Je la vois qui cherche Dan et Théo du regard. Quand elle finit par les trouver, elle s'élance, m'entrainant à sa suite.

Il y a vraiment beaucoup de monde. Plus qu'en boîte. Je joue des coudes, rencontrant quelques visages familiers. Certains garçons se poussent d'eux-mêmes, me regardant comme s'ils ne m'avaient jamais vue. J'étouffe un éclat de rire. Mon amie se stoppe et s'écrie (je suppose à mon petit copain) :

-Messieurs, je vous présente la grande, l'unique, Krisleen Carterboats !

Elle s'efface pour que le maigre public me voie. Si vous aimez les grands blonds musclés, capitaine de l'équipe de basket avec pas beaucoup de cerveau, c'est Dan qu'il vous faut. Rien que de parler avec lui me donne de l'urticaire mais nous savons lui et moi qu'il ne s'agit que de sexe. « Petit copain » est pour éviter de ruiner sa réputation.

De toute façon, je le larguerai bientôt, comme tous les autres. Ouais, je me lasse vite, et ne trouve jamais quelqu'un d'assez bien, que ce soit garçons ou filles, ça n'a pas vraiment d'importance. Tout ce qui compte, c'est ce qu'il se passe dans le lit.

Bref, ceux qui sortent avec moi savent que ça ne durera pas longtemps et ils l'acceptent. Je crois même qu'ils font un concours de celui que je garde le plus de temps. Qu'est-ce que c'est con des lycéens.

Moi, je m'en fous tant que je m'amuse.

J'effleure les lèvres de Dan. Il me fixe avec surprise et émerveillement. J'agite une main devant son visage pour le réveiller.

-Ououuuuuu, il y a quelqu'un là dedans ?

-Excuse moi c'est juste... Tu es différente, tu es... Trop belle.

-Je dois comprendre que je suis moche d'habitude ?

-Non ! Se rattrape-t-il avec véhémence.

Je lui adresse un sourire enjôleur.

-T'inquiète, aucune importance. T'as pas soif toi ?

-Si ! Attend, je vais aller nous chercher des verres.

Je me retrouve donc seule à chercher comme une cruche Betty qui doit déjà valser avec Théo. Quelqu'un m'attrape doucement le poignet et je me retourne, tombant nez à nez avec...

Avec qui ?

-Eh, salut Kris ça va ?

Le garçon qui me parle a les cheveux aussi noirs que mon nouveau collier.

-Salut !

Qui es-tu ? Ai-je envie de demander.

Il sourit et je sursaute, ses dents sont pointues.


KrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant