N°16

6.2K 360 797
                                    

Centre-ville de Yokohama. 20h45.

Dazai Osamu sifflotait dans les rues animées de la ville, appréciant la brise singulière de ce début d'automne. La journée avait été rude. Passée entre la formation continue d'Atsushi, le bruit des paquets de bonbons froissés de Ranpo et les piaillements d'excitation de Naomi au moindre mouvement de Tanizaki, Dazai été épuisé.

La foule autour de lui paraissait bien moins bruyante que les bureaux de l'Agence. Il ne sortait que rarement en centre-ville depuis qu'il avait quitté la Mafia. Avant, il avait l'habitude de venir ici avec Odasaku et Ango pour se changer les idées, ou encore Chûya, lors de certaines missions. Le souvenir de ces instants lui pinça le cœur autant qu'il le lui réchauffa. Il était douloureux d'y repenser, pour autant c'était une vie dont il ne voudrait jamais se débarrasser.

Mais malgré cette ambiance douce et agréable, Dazai ne se sentait pas complètement à l'aise. Une présence lui pesait dans le dos. Il en était persuadé, ses sens de mafieux étaient en alerte mais il continua de marcher, attendant le moment propice pour lancer l'attaque. Qui que ce soit son futur assaillant, il ne le laisserait pas porter le premier coup.

Il se rendit intentionnellement dans une ruelle sombre et éloignée, afin d'épargner le futur spectacle aux locaux encore en promenade dans les environs. Il avança suffisamment pour que le bruit ambiant de la ville ne soit plus qu'un son étouffé, mais ne manqua pas d'entendre le claquement des talons qui traînait derrière lui. Sûrement une femme.

Las de marcher et considérant s'être assez éloigné, Dazai se retourna vivement, non sans manquer de dégainer le revolver qui traîner dans la poche de sa veste au passage. Il savait que l'Agence avait une politique anti-arme à feu mais ce dernier n'était là que pour assurer la sécurité du détective. Par respect pour Fukuzawa et les principes d'Odasaku, Dazai ne s'en servait plus pour tuer, mais blesser et seulement dans le cas où c'était nécessaire pour sa survie, ou celle de ses camarades.

Il s'attendait à tomber sur le visage froid et calculateur d'une femme assez sûre d'elle pour suivre un inconnu au milieu d'une ruelle étroite et délabrée. Mais, au contraire, c'est une expression tendue et légèrement apeurée qu'il découvrit. L'étrangère avait une peau lisse et sans défaut, des yeux grands et sombres, et des cheveux blonds cendrés. Elle était sûrement européenne. Allemande ou peut-être Française.

Il s'apaisa.

- Je peux vous aider ? demanda-t-il.

- Non. Enfin, je ... Veuillez m'excuser, c'est juste que ... Je vous ai pris pour quelqu'un d'autre. Je suis désolée.

- Ne vous excusez pas, ce n'est rien.

- En réalité ... Vous ressemblez beaucoup à mon ancien compagnon.

- Oh ? J'espère que vous vous êtes séparé en bons termes, sinon j'ai sûrement du souci à me faire, plaisanta-t-il.

- Il ... Il est décédé, il y a quelques mois.

Dazai se figea sous la surprise. Il aurait mieux fallu qu'il se taise sur ce point.

- Je vous prie de me pardonner, fit-il en baissant la tête.

- Ce n'est rien. Vous ne pouviez pas savoir.

La jeune femme lui offrit un sourire triste et fit un pas en arrière dans l'idée de faire demi-tour.

- Vraiment désolée de vous avoir dérangé, s'excusa-t-elle à nouveau.

- Aucun problème, Mademoiselle ...

- Marguerite. Marguerite Yourcenar.

- Enchanté.

Et avant même que la jolie française ait pu l'en empêcher, Dazai déposait sa main sur son bras dans un geste aussi réconfortant que respectueux. Et à l'instar de ce détective un peu farfelu ou encore du légendaire Fyodor Dostoevsky, la jeune Marguerite Yourcenar n'était pas en mesure de contrôler ses capacités surnaturelles.

Double Ancrage || SoukokuWhere stories live. Discover now