La fin du monde

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Quelque chose survint.

Sous la forme d'un rien. D'un arrêt. D'un silence.

La petite danseuse s'était immobilisée. Elle s'était arrêtée de danser, subitement sous les petits flocons de neige qui saupoudraient ses cheveux. Elle s'était arrêtée, sa petite main toujours renfermée dans celle du petit homme qui, alors, s'arrêta lui aussi. Il la regarda, étonné, ne comprenant pas, avec ses grands yeux verts. Elle le regarda, craignant comprendre, avec ses grands yeux noisette.

Et soudain elle tomba.

Elle tomba lentement, doucement, comme tombe une feuille sur une flaque d'eau, comme une caresse, comme un murmure ; comme un baiser sur la neige, tandis que le petit homme se précipitait pour la prendre entre ses bras. Que se passait-il ? Il avait l'impression de sentir son propre coeur s'emballer, s'horrifier, se glacer. Que se passait-il ?! mais alors il comprit. Il releva les yeux vers le haut, s'arrachant au visage de la petite poupée qui semblait se glacer, et il compris. Les rayons du soleil étaient en train de disparaître au travers des interstices poussiéreux du globe de verre. Là-haut au-delà de leur ciel de neige, toute une nuit et toute une journée entières s'étaient écoulées. Toute une nuit et toute une journée, qu'ils avaient pu passer entièrement ensemble, dans les bras l'un de l'autre. Toute une nuit et toute une journée parfaites, pour ceux pour qui la notion du temps n'existait pas.

Toute une nuit et toute journée au cours de laquelle il n'avait pas remonté le mécanisme.

Et la petite danseuse était tombée entre ses bras. 

La petite danseuse sourit avant de fermer ses yeux, elle sourit une dernière fois.

Elle lui avait glissé entre les doigts...

Alors ce fut la fin du monde. J'étais là - je me souviens. Ce fut la fin du monde. Pas une fin du monde bruyante faite de météorites et de hurlements non ; ce fut une fin du monde de l'intérieur, celle à laquelle on n'échappe pas.

Le coeur du petit homme se brisa. La douleur était insoutenable. Intenable. L'esprit vide et le coeur déchiré. La blessure ouverte, lancinante, d'avoir perdu la chose à laquelle on tenait le plus au monde. L'horreur glaciale de ne pas savoir comment remonter en arrière. Comment remonter en arrière. Remonter en arrière. Le mal dévorant, les larmes glaciales, le coeur ouvert qui hurle, hurle, avec l'impression de se vider de son sang, du sang de tous les hommes qui ont un jour saigné d'amour pour la femme qu'ils aiment. Les doigts glacés, tremblants, qui effleurent les lèvres froides au sourire soupiré. L'esprit qui se fend tandis qu'on se dit que c'est faux, qu'on n'y croit pas. Que c'est impossible. Que ce ne peut pas être vrai. Qu'il y a forcément quelqu'un quelque part pour avoir pitié, pitié pour cet amour, pitié, rendez-la moi, rendez-la moi, rendez-la moi. Laissez-moi remonter en arrière...

Remonter en arrière.

Remonter en arrière.

J'étais là - et je me souviens. Je me souviens de la douleur du petit homme, sous son petit globe de verre, tenant entre ses bras frêle la petite silhouette désarticulée de sa petite poupée. J'étais là et, moi qui avais vu tous les temps, tous les âges, tous les gens, toutes les choses, soudain, pour ce pauvre être sans défense et sans orgueil, soudain, j'eus pitié.

La lune et la boîte à musiqueWhere stories live. Discover now