La musique

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Le petit homme escalade tous les rouages, tous les tuyaux. Il monte tout en haut, tout en haut de tous ces rouages. Il ne faut pas tarder pour monter, le soir, avant que le mécanisme ne se remette à tourner car, alors, l'ascension est plus dangereuse : les rouages ont beau être ses amis, les rouages font leur travail ; et quand ils ont commencé à tourner, seuls les rayons du soleil, au matin, les arrêtent.

Le petit homme remonte ainsi le mécanisme chaque jour et, chaque nuit, sa récompense est à la hauteur de ses efforts.

Il monte lentement. Précautionneusement. Il sait où mettre ses grosses chaussures en cuir, où poser ses petits doigts fins que le travail a endurcis. Il se hisse facilement. Tout en bas pendant ce temps, là où la poutre est tombée au sol, le ressort commence à se détendre et, tout doucement, le premier rouage se met alors à tourner. Puis son voisin, puis le voisin de son voisin. Le mouvement est tel une danse, dans le mécanisme, qui se propage, lentement, prenant des chemins toujours plus longs, plus détournés. Le mécanisme pourrait être tout simple, mais non, au contraire, il y a beaucoup de rouages, beaucoup de danseurs, qui, petit à petit, remplissent tout l'endroit de leurs éclats métalliques, dans une valse entêtante. Le mécanisme géant est un vieux chat qui prend son temps pour s'éveiller, s'étirer. Il faut que tout le monde soit bien à sa place, il faut que tout le monde joue bien son rôle pour alors, enfin, en bout de course, communiquer cette transe à la pièce maîtresse de l'endroit : là, dissimulée dans l'ombre, tout en bas derrière la forge, l'immense cylindre hérissé de picots commence à pivoter. Il est gigantesque, et pourtant la force de tous les rouages l'entraîne, d'abord lentement, puis plus sûrement et soudain, le premier picot entre en contact avec le clavier.

Et, alors que le petit homme arrive tout juste en haut ; la première note résonne.

Une note claire, scintillante, vibrante, aiguë, belle comme la voix d'un ange, belle comme le chant d'une sirène.

Elle est bientôt suivie des autres car ça y est, le mécanisme est bien réveillé ; ça y est le mécanisme chante ! Le petit homme sourit largement. Il s'installe tout en haut, là où, juste sous le plafond, il peut apercevoir un peu de l'autre monde, par le petit trou. Chaque soir il s'assied là et il écoute la musique. Chaque soir il rêve. La musique le transporte. Loin. Il regarde par le petit trou, cette lumière blanche qui descend d'un ciel qu'il ne peut qu'imaginer ; et il écoute, en tailleur sur sa poutre de bois, en dessous de ce tout petit trou qui n'a jamais révélé ses secrets. Il écoute la musique - car une musique aussi belle, c'est comme le chant des glaces par un matin d'hiver, c'est comme la caresse des vagues par une soirée d'été. C'est comme le câlin d'une maman après qu'on ait trop pleuré, c'est comme le rire des enfants un soir de Noël. C'est le calme et la sérénité, et la beauté, et la passion. La passion et l'amour, oui, l'amour - mais évidemment, à ce moment-là, le petit homme ne sait pas encore ce que c'est.

Et le petit homme avait pourtant trouvé le secret du bonheur. Il lui suffisait de rester là, de s'occuper de ses rouages et de laisser ses rouages chanter pour lui chaque nuit. Tout cela lui suffisait - après tout, que pouvait-il demander de plus ? Même les contrées lointaines qu'il essayait d'imaginer au son des anges étaient loin d'une aussi jolie réalité. Le petit homme était heureux et tout cela lui suffisait. Mais soudain ce soir-là, la lumière blanche changea. La lumière devint intense, comme un faisceau de lune qui descendait sur lui. Oh - c'était déjà arrivé : la lune est une amie capricieuse après tout, qui allait et venait - mais soudain ! il se passa quelque chose. Quelque chose d'incroyable. Là, dans la lumière blanche de la lune à son heure la plus claire, dans cette musique lancinante qui chantait la pureté et l'amour, là, devant le petit trou, juste au-dessus des yeux verts du petit homme, passa soudain une ombre...

La lune et la boîte à musiqueWhere stories live. Discover now