Le mécanisme

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Ding ! Ding ! Le petit homme frappe régulièrement ce vilain rouage qui ne veut pas rentrer. Ding ! Ding ! Doucement, tout doucement, le rouage irremplaçable reprend sa place au sein du mécanisme. Ding ! Ding ! Le petit marteau frappe jusqu'à ce que l'alignement soit parfait. Ensuite, le petit homme éponge son front couvert de cambouis, d'un revers d'une manche toute aussi couverte de cambouis. Il souffle un peu. Ouf ! Il était temps. La nuit va bientôt tomber, et il faut absolument que le mécanisme soit prêt.
Le petit homme se laisse tomber au sol, glissant du tuyau sur lequel il se tenait à califourchon - avec les tuyaux, on peut se tenir au plus près de n'importe quel rouage, en cas de réparation. Et ici, les réparations ne manquent pas.
"Ici", il ne sait pas vraiment où c'est. Le petit homme a l'air jeune, avec de grands yeux verts dont il croise parfois le reflet au fond de sa gamelle. Il a des cheveux de la couleur de la rouille contre laquelle il se bat pour protéger les rouages. Il se dit parfois que, peut être, la rouille finira-t-elle par l'avoir, lui aussi, et qu'elle commence par ses cheveux.
Le petit homme ne sait pas vraiment d'où il vient. Il se souvient vaguement qu'il s'est réveillé là, un soir où les vieux rouages avaient besoin de lui. Il était tout seul, tout seul dans cet espèce d'immense mécanisme qui prenait de l'âge alors, il a fait ce qu'il pensait devoir faire : il a pris soin des vieux rouages.
Ainsi, depuis toujours semble-t-il, le petit homme soude, taille, répare, replace et réconforte les vieux rouages. Parfois, quand l'un d'eux est vraiment trop vieux, il le faire fondre au feu de la petite forge qu'il s'est installé sur la "place", et il fabrique un nouveau rouage. Quelque part, se disait-il, c'était toujours le métal du vieux rouage, mais avec une forme plus jeune, plus lisse, plus brillante, n'est ce pas ?
Le petit homme n'aime pas se séparer des vieux rouages.
La "place", c'est ce petit endroit au milieu du mécanisme. Là, au plus profond de cette jungle d'engrenages qui montent très très haut, il y a un petit endroit où il a fait son nid, tout en bas. Il dort dans un vieil écrou tombé au sol, dans lequel il a confectionné un lit avec une déchirure de grosse toile. Il a fait un petit feu - qu'il appelle fièrement sa forge - avec une lumière très chaude qui est tombée, un jour, de l'ouverture dans son plafond. Ce plafond, il y tombe parfois des choses : parfois un peu de toile, souvent un peu de poussière. Ce n'est qu'un tout petit trou, tout là-haut au-dessus des plus hauts engrenages, par laquelle le petit homme passerait à peine une main. Chaque jour il y voit un très faible rayon de lumière. Chaque nuit, c'est là qu'il l'entend le mieux.
Mais trêve de rêveries ! Il va bientôt faire nuit. Le petit homme s'empresse de réajuster son dernier rouage, celui qu'il a passé la journée à réparer, et qui est désormais prêt à fonctionner en osmose avec ses voisins. Il admire son oeuvre. Parfait ! Et juste à temps. Il se laisse glisser de tuyau en tuyau, jusqu'au sol de bois que la forge réchauffe doucement. Il passe devant son écrou, sur la place, et trottine rapidement jusqu'à la manivelle, qu'il coince, la journée, avec une petite poutre pour que le ressort ne se détende pas. C'est bientôt l'heure, se dit-il. Il a remonté la manivelle toute la matinée pour avoir le temps de s'occuper des rouages ensuite, et c'était tout juste - car il ne faut pas être en retard pour la nuit tombée.
Il ne sait pas pourquoi.
Quelque chose lui dit juste que tout doit être prêt pour la nuit. Alors, pour chaque nuit, il est prêt. Depuis toujours.

Au dehors, les derniers rayons de soleil se sont éteints. Les seules lumières subsistant sont celles de son foyer ; et ce minuscule trou là-haut que, d'en bas, on ne voit pas vraiment. Alors, le petit homme remonte les bretelles en cuir de son pantalon de travail, et réajuste ses grosses lunettes métalliques sur son front. Il rassemble ses forces, et il pousse sur la poutre pour la faire basculer. Celle-ci tombe au sol dans un grand fracas. Demain, il aura encore du mal à la replacer, se dit-il. Mais, pour le moment, sa part du travail est faite.

Le mécanisme va bientôt se remettre à jouer sa jolie musique.

La lune et la boîte à musiqueजहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें