La rencontre

16 2 0
                                    


Et ce fut fait.

La rencontre.

C'était la chose la plus belle, la plus belle chose qui m'avait été donnée de voir. Dans ce monde vertigineux de tourments modernes et d'histoires consommées, j'avais, enfin, accroché mon regard sur quelque chose qui, semblait-il, valait la peine qu'on s'y attarde.

J'avais parcouru tous les âges me semblait-il, et tous les paysages. J'avais rencontré les gens et les bêtes, les arbres et les choses - je les avais vus, je les avais même connus ; et j'avais décidé de les éviter. Tout ce qui est sentiment n'est que caprice passager dans ce monde gangrené, me disais-je : à quoi bon aimer ce jour, si demain il faut trahir ?

Moi si vieille, si fatiguée de l'insomniante torpeur qui anesthésiait les petites âmes vides de ce monde, moi si lasse d'être inlassablement, continuellement déçue de tous ces corps de chair qui clament gloire, amour et beauté à des ciels qu'ils ne regardent plus ; moi, j'avais vu, cette nuit-là, ce à quoi l'amour devait ressembler.

Et cela même si c'était contre l'ordre des choses.

Car là, sous le globe poussiéreux, n'échappant pas à mon regard perçant, le minuscule petit homme et la minuscule petite ballerine de la boîte à musique, ignorant tout de la rare pureté de la lueur de leurs yeux, s'étaient rencontrés.

La petite danseuse était étonnée de le voir. Il lui semblait le connaître, il lui semblait même qu'ils se ressemblaient, pourtant ils étaient si différents ! La petite danseuse rit un peu, ce soir-là, sous la neige scintillante, et son rire était comme les notes de musique : jouées à l'instrument des anges. Le petit homme en était amoureux - et il se sentait subitement bête et sale, plein de cambouis devant sa petite danseuse, il essaya de réajuster ses grosses lunettes qui tenaient ses cheveux, mais les mèches étaient rebelles - et la petite danseuse rit davantage. Le petit homme parut soulagé et il sourit, plissant ses grands yeux verts. La petite danseuse cligna alors des siens, étonnée par une expression si tendre, tendre comme les pétales d'une rose.

La petite danseuse, elle aussi, fut amoureuse.

Alors, elle esquissa quelques petits pas vers lui, elle se pencha, saisit ses mains - oh, comme elle avait les mains froides ! et elle l'entraîna.

Elle l'entraîna dans une hypnotique, enivrante petite danse.

Ils furent heureux. Ils furent heureux - le temps de cette nuit, le temps que dura cette danse, je le jure. Ils tinrent leurs doigts entrelacés, comme s'ils ne devaient plus jamais se séparer, comme si c'était une évidence, comme s'ils avaient chacun retrouvé la moitié qu'ils avaient cherché toute leur existence. Ils valsèrent ensemble dans la neige, suivant le tracé des sentiers de givre, et ce fut beau et maladroit. La petite danseuse bondissait, sautillait, tournoyait, comme une enfant heureuse, légère et scintillante comme un papillon, enivrée de toute l'excitation qu'on ressent quand quelque chose de très beau, d'incroyable nous survient - et lui l'accompagnait, la faisait voler, fasciné de tenir près de lui quelque chose d'aussi fragile et gracieux, quelque chose de si précieux qu'on n'aurait assez d'une vie pour protéger.

Ils furent heureux, plus heureux, plus entiers, plus sereins qu'on ne peut l'être, le temps de cette nuit. L'amour, par leurs yeux, dévoilait un visage qu'il me semblait avoir attendu mille éternité. Voilà. C'était ça. C'était ça, qu'il fallait, qu'il aurait fallu, partout et toujours, pour ce monde, pour ces gens, ces gens bêtes qui ne veulent pas savoir, et ces bêtes qui ne savent pas.

C'était ça, l'amour, plein, entier. C'était aimer l'autre, d'un coeur si grand qu'il n'y avait pas de place pour aucune ombre. C'était aimer, tout, totalement. Ce n'était pas chercher la perfection - car on n'est pas parfait quand on est plein de cambouis, on n'est pas parfait quand on saute d'une note à l'autre sans s'occuper du rythme ; non, l'amour, c'était quelque chose de plus absolu. Ce n'était pas chercher la perfection, c'était l'avoir trouvée.

Comme un trésor qui ne brille que pour soi.

Avoir trouvé une chose dont ne pensait pas possible qu'elle existât ; et pourtant qu'on reconnaissait en un coup d'oeil.

L'amour, c'est trouver quelque chose, et l'aimer si fort qu'on ne lui demande pas de changer, surtout pas ; et on ne lui demande rien d'autre que d'être heureuse, heureuse encore, et ensemble ! ensemble si possible, si l'ordre des choses le permet !

Et le petit homme et la petite danseuse furent heureux ensemble, pleinement, entièrement, sincèrement, purement, magiquement, le temps que dura cette danse, le temps que dura cette musique.

Hélas il arrive, hélas ! me dis-je, que l'amour survienne parfois là où l'ordre des choses ne le permet pas.

La lune et la boîte à musiqueHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin