CHAPITRE 01

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Dans mon sommeil, je m'imagine assise sur un banc.
Je sens l'herbe encore mouillée sous mes bottines usées. J'aperçois la beauté d'un ciel bleu océan et je laisse le soleil frapper mon visage. Je suis dans un parc où jouent des enfants. Ils doivent être légèrement plus jeunes que moi. Ils courent, ils rigolent et s'amusent ensemble. La petite fille vêtue de rose raconte sa journée au garçon aux yeux verts pendant que d'autres font la guerre pour de faux. Le petit groupe au loin essaye tant bien que mal d'escalader la grande structure en bois sous le regard attentif des plus grands. La paix qui se dégage de cette scène m'apaise quelques temps avant d'être rattrapée par la dure réalité : plus rien de tout ça n'existe désormais. Je suis née dans un monde où le dérèglement climatique et la pollution atmosphérique ont fait de la surface de la Terre un endroit inhabitable. Je vis dans l'Annexe, un gigantesque bunker enfoui sous terre qui se veut être le dernier refuge où subsistent les derniers 322 derniers êtres humains.
Parmi eux, 277 sont des enfants. Les autres sont des chercheurs et des médecins qui assurent vouloir nous aider. Je suis réveillée par le docteur Vendeville : une jeune femme d'une trentaine d'années. Elle semble apporter un soin tout particulier à ses cheveux roux et bouclés, ses yeux arborent la même couleur qu'une pierre de jade et sa grande blouse blanche immaculée lui offre un certain prestige. Le médecin se tient à mon chevet.

- Désolé de te réveiller aussi tôt, mais ils t'appellent pour passer le test, me chuchote-t-elle.

- Non, réponds-je sèchement.

Je déteste ce qu'ils appellent l'E.M.A : l'évaluation mensuelle d'aptitudes. Cela consiste en une expérience, des examinateurs m'observent pendant que j'utilise des capacités qu'ils n'ont pas. L'haleine chaude et fétide que ces derniers ont tous et le ton oppressant qu'ils emploient m'insupporte. La femme qui se tient à côté de moi me regarde avec compassion.

- Écoute, je sais que tu n'aimes pas ça, mais c'est juste un mauvais moment à passer...

- Vous n'avez qu'à leur dire que je ne me sens pas bien.

- Tu exagères Avah ! Tu as déjà dit la même chose la dernière fois !

Un sourire arrogant se dessine sur mon visage. Il est vrai que j'ai réussi à échapper à l'examen du mois dernier, et à celui du mois d'avant. Le docteur Vendeville, prend une grande respiration avant de reprendre calmement.

- S'il te plaît... Fais-le pour moi.

J'ai beau dire tout ce que je veux, je dois bien admettre que cette adulte sait y faire avec moi. Elle est typiquement le genre de personne pour qui j'ai de la considération. Ce docteur a toujours les mots justes, qu'elle prononce posément, sans jamais se mettre en colère. D'ailleurs, c'est l'une des seules personnes que je ne parviens pas à énerver. C'est quelqu'un douée d'une patience infinie.

- D'accord, dis-je, mais à une condition !

- Laquelle ? Me demande mon interlocutrice avec un sourire complice.

- C'est vous qui ferez mon évaluation.

Le docteur lève sa main droite et dit :

- Croix de bois, croix de fer, si je mens, qu'on me renvoie sur terre !

Nous rigolons si forte toutes les deux que la fille qui occupe le lit d'à côté s'est réveillée en sursaut, je ne lui jette même pas un regard. Sans grande motivation, j'enfile mon uniforme : un tee-shirt blanc sur lequel est brodé le logo de l'Annexe et un treillis, blanc également. Je lace mes bottines bien trop grandes pour moi et prend la main du docteur. Cette dernière passe son poignet sous un scanner pour ouvrir la porte de l'élévateur, direction le niveau 51.
Les parois vitrées de l'ascenseur me laissent admirer l'énorme refuge. En dix ans, je n'ai jamais réussi à imaginer le travail gargantuesque qui a dû être réalisé pour qu'un endroit pareil existe. Après de courtes minutes de trajet, nous atteignons notre destination. La voix monotone sortant des haut-parleurs du monte-charge déclare : ''Niveau 51 : salles de tests, attention à la marche''. Le docteur Vendeville et moi traversons une série de longs couloirs aux murs gris taupe où les vitres et les portes en acier se font face de part et d'autre. Sur ceux-ci sont projetés des clips vidéo faisant la promotion des services de sécurité de l'Annexe, des chercheurs et d'un anonyme que tout le monde appelle Le Président et conclut son discours par cette citation très populaire : ''Dans l'Annexe on n'a pas de soleil, mais on a des idées !'' Je l'imite de manière hautaine.

- Dans l'Annexe... gnagnagna... soleil... gnagnagna... on a des idées !

Puis j'interroge mon accompagnatrice.

- D'ailleurs... Vous l'avez déjà rencontré ?

- Qui ça ?

- Qui ça... Bah Le Président ! Dis-je d'un ton désinvolte.

- Le Président ? Oui, je le connais bien... Un peu trop même...

Sa réponse m'intrigue. Peu sont ceux qui peuvent se vanter d'avoir déjà pu parler au Président. Selon certaines rumeurs, c'est le génie qui a créé l'Annexe et sauvé l'espèce humaine. Un peu euphorique, je pose toute une batterie de questions au médecin.

- C'est vrai ? Qui est-ce ? Vous savez pourquoi il ne se montre pas ? Comment ça se fait que vous le connaissiez ''un peu trop bien'' ? C'est vraiment un génie ?

- Eh, doucement Avah. Je te promets de réponse à absolument toutes les questions que tu me poseras après le test. Me répond-t-elle d'un air amusé.

MIDNIGHT CITYWhere stories live. Discover now