L'au-revoir

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“ Tu m'avais dit qu'on devrait partir ensemble, rien que nous trois, tu m'avais dit qu'on connaîtrait le bonheur à grande sensation. On partirait de nuit, roulant à toute allure sur les routes vides, se déchirant la gorge à n'en plus pouvoir. Tu voulais qu'on écoute de la musique à en devenir sourd, devenir des vieux alors qu'on était jeunes. On se serait arrêtés dans les stations services prendre des conneries à manger, avec quelques bouteilles de jus de fruits parce que t'aimais pas l'alcool ni l'eau. Tu disais que c'était sans goût. Mais du moment qu'on était ensemble le reste importait peu. C'était ce qu'on pensait et c'était la meilleure des choses.
          Je me souviens encore le départ, emmitouflés dans de grosses vieilles couvertures ; tu savais plus si elle venait de tes grands-parents ou de tes arrières grands-parents. On voulait juste se réchauffer parce qu'il y avait pas, enfin plus de chauffage dans cette vieille bagnole. Elle était délabrée mais faisait son job. La radio grésillait, mais on avait des disques alors ce n'était pas grave... Rien n'était important, les études étaient laissées de côté pour un petit moment.
      Tu voulais profiter avec nous avant que quelque chose nous sépare, nous on avait pas compris. Pourquoi quelque chose irait nous séparer ? On était en parfaite santé, sains d'esprits ; jeunes, fougueux et libres. Alors on pensait pas au futur, aux amours tout ça, non on y pensait pas. Et à vrai dire on refusait d'y penser, c'était des " choses d'adultes ".
      Alors qu'on roulait, en rigolant et chantant  toi tu essayais de rester concentrer sur la route. Tu avais du mal à cause de nous. Cependant tu ne disais rien, tes sourcils étaient froncés et parfois tu semblais te détendre. C'était si bien comme époque, comme tu le disais c'était “ la belle époque ”. Si nous avions su que tu avais entièrement raison, alors peut-être que… peut-être que nous aurions été plus prudents que ça.
        Peut-être une semaine était passée, quand on s'est mis à chanter la discographie de ton groupe préféré : Pink Flyod. On détruisait leurs chansons avec nos accents anglais plus que déplorable, faisant parfois du yaourt. Enfin, “ on ” non, toi t'étais vraiment incroyable pour l'anglais. Tout le monde pensait que t'avais des origines de là-bas d'ailleurs.
C'était juste une chance que t'avais, une chance que tu n'avais pas demandé. Et de laquelle tu te foutais. Moi j'avais quoi ? Je savais jouer de la flûte grâce aux cours du collège et voilà quoi, c'était déjà bien… puis tu te souviens, lui, il savait peindre. Enfin, pour nous non mais pour la professeure d'art au lycée oui, elle disait qu'il allait devenir le prochain Van Gogh. On savait tous qu'elle exagérait à chaque fois.
   Je veux que tu saches que… que cet automne là avait été le meilleur de toute ma vie. C'était clairement une chose mémorable. On est partis pendant quoi ? Presque deux semaines. Deux semaines où on s'amusait et on se disputait. Deux semaines pendant que toi tu savais. Deux semaines pendant lesquels, nous, nous ne savions pas. C'est dur de se le dire maintenant. On aurait pu remarquer. C'est même pas ça en fait, on aurait dû remarquer tout simplement. J'espère que tu ne nous en veux pas trop. T'es pas mort certes mais c'est comme si.
          Tu nous a déposé chez nous, on se disait au revoir, on était crevés, pas ivre mort bien que pas loin. Et on t'a pas revu. Ta famille aussi d'ailleurs. Ils nous ont dit. Tu sais, ça. Ce dont tu nous avais jamais parlé. Cette maladie interne. Cette maladie psychologique. Tu aurais pu nous en parler.
À l'heure actuelle — soit trois ans après, personne ne sait où ça t'a mené. Personne ne sait si ça t'a tué ou pas. Personne ne sait si tu t'es tué ou pas.

Personne ne sait depuis quand ça te rongeait.
Personne ne sait pas depuis quand t'y pensais.
Personne ne t'as compris.
Maintenant tout le monde te comprend.
Nous t'aimons, prends soin de toi. ”

Les Nuits Sans Etoiles.Where stories live. Discover now