Laurène-031

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PDV Laurène

‒Tu es trop belle pour être gay, j'affirme.

Ma phrase n'a rien d'un compliment (je précise). Elle me regarde, confuse, la bouche entrouverte prête à répondre mais rien ne sort.

‒ Non, je...

Elle balbutie. Je soupire. Je ne veux pas paraître froide mais je veux être sûre. J'ai trop à perdre.

‒ C'est bien ce que tu penses ? Tu es une fille sage, tu ne fais pas partie des autres, c'est bien ce que tu as dit plus tôt ? je demande.

Je ne veux pas la déstabiliser, mais je dois savoir.

‒ Les filles sages vont au paradis, les autres vont là où elles veulent ! elle s'écrie.

Il manque plus que le poing levé. Je souris sans le vouloir, c'est sérieux.

‒ Ce n'est pas de toi ! je dis, avec un amusement modéré.

‒ Non mais je le pense, vraiment.

Elle me fixe droit dans les yeux, avec un regard de chaton : elle apprend vite. Mais je n'ai pas fini avec mon interrogatoire.

‒ Et qu'est-ce qui te fait penser qu'être lesbienne ce n'est pas « être sage », que c'est « faire des bêtises » ? je poursuis.

Et je me sens coupable de lui faire subir tout ça. Mais elle semble déterminée et moi je ne m'engagerai dans rien sans être sûre. Oui, j'ai développée des sentiments pour elle sans même m'en apercevoir mais je lutterai contre ça s'il le faut même si ça m'arrache le cœur puisque ce sera pire si on entame la relation. Dès que je l'ai vu quelque chose a changé. Je n'ai pas envie que mon potentiel investissement de temps, de sentiments, de moi-même soit détruit par une relation qui déjà vouée à l'échec. Je dois déjà me reconstruire sur le plan professionnel. Ça fait beaucoup de tours à bâtir et aucune ne doit s'effondrer. Alors la base doit être solide. Je ne sais plus vraiment où j'en suis et je n'aime pas du tout raisonner comme je suis en train de le faire. J'aurais déjà plongée la tête la première, mais je ne suis plus cette fille. Aujourd'hui j'ai perdu mon travail. En soit-ce n'est pas tant une mauvaise chose. Avec un peu de recul je me dis que j'aurais fini par démissionner. Mais à présent je n'ai plus aucune garantie.

‒ La société, les gens ! Je ne sais pas ! elle se défend. Et je sais que ça ne sert à rien de jeter la faute sur le monde pourtant c'est vrai ! Hier encore je croyais, même inconsciemment, ce que j'entendais autour. A force qu'on nous rabâche ce genre de « certitudes » non fondées : on finit par y croire ! Et je me sens vraiment bête. Parce que j'aurais pu me rendre compte plus tôt ! Parce que j'ai l'impression de ne pas réussir à me détacher de toutes le normes alors même que je m'en fous des normes !

Je l'écoute s'énerver et refaire le monde, elle continue :

‒ Je n'ai rien demandé moi ! Ils me veulent quoi avec leur mariage, leurs enfants, leurs maris, leurs petits copains et tout leur « blabla ». Je n'en veux pas moi. Je veux juste vivre, finit-elle dans une grande inspiration, dans un commencement.

Ses mains achèvent le discours en finissant sur l'oreiller qu'elle serre fort contre elle.

Je crois qu'elle s'est énervée pour deux et ça fait du bien. Mais ce n'est pas finit :

‒ Et puis tout ce bordel pour une foutu application de rencontre... à cause d'une meilleure amie qui n'est pas capable de rester avec moi jusqu'au bout !

Elle crie désormais en fixant le mur qui nous sépare de la chambre de Garance. Le silence lui répond, et moi je continue de l'écouter parce qu'à l'instant précis personne ne peut l'interrompre :

‒ Je voulais juste écrire au départ ! Maintenant je suis en train de nager entre les lignes, entre mes maux, c'est moi qui tiens la plume normalement. Ce sont mes personnages qui vivent, pas moi. (Sa voix se brise) Moi je ne sais pas vivre !

Je ne me lasse pas de regarder ses yeux bleu azur qui semblent changer comme la météo, le ciel. Je ne sais pas si c'est moi mais ils ont l'air de devenir gris orageux, argentés lorsqu'elle est en colère. Et j'en ai froid, comme s'il pleuvait, l'air est humide, mes paumes sont moites et tout est électrique entre nous. Vais-je tenir le choc si je la prends dans mes bras pour la consoler ?

Je veux m'y risquer. Parce qu'elle ne doit pas être la seule à prendre des risques.

Je la serre contre moi en jetant l'oreiller qui nous sépare. Je ne sais pas si je suis prête à m'engager dans une relation mais je sais une chose : je veux quand même être là pour elle. Deux larmes perlent de manière symétrique sous chaque œil ce qui m'arrache un sourire. Elle est si parfaite.

Je les essuie avec mes pouces en encadrant son visage de mes mains et elle sourit. Les orages sont passés. Mais il reste la pluie, visiblement.

‒ Tu ne dis rien à personne, n'est-ce pas ? elle s'assure.

Si se découvrir est une première étape, se confronter aux gens en est une autre.

‒ Je n'ai rien à dire, je chuchote.

Je n'ai rien à dire parce que c'est à elle de dire ce qu'elle veut quand elle veut, mais à propos de nous je n'ai vraiment rien à dire parce que je ne sais pas ce qu'il y a. Il y a tout et rien en même temps.

‒ Tu oublies @vingt-cinq-ans, elle remarque.

C'est juste.

‒ Toi aussi, je constate.

Elle hoche la tête.

Je jette un œil à mon écran et je n'avais pas fait attention à toutes les notifications que j'ai reçu mais pour l'instant c'est l'heure qui m'accapare. On va être en retard. Ce n'est pas très sage ça pour le premier jour, n'est-ce pas ? En même temps ce n'est pas comme si j'étais payé pour coacher des « mademoiselle hétéros » parce que je suis sûre qu'il va y en avoir. Tant que j'ai mademoiselle-pas-lesbienne-du-tout avec moi ça devrait aller. Maintenant je dois me méfier de celles qui font dans l'originalité. 

Avis ? :)

OTHER GIRLS 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant