Chapitre six ➳ Confusion d'émotions

168 16 10
                                    

                    

N'importe quoi. Et pourtant, j'attrape tout de même un pull en cachemire blanc dans mon dressing et l'enfile après avoir retiré l'autre. Je jette ce dernier dans la panière à linge sale qu'est pour le moment ma chaise de bureau et pars rejoindre les garçons en bas.
– Salut la belle, s'exclame Sean, installé devant l'îlot central, un bol de céréales sous le nez.
– Bonjour, dis-je avec un sourire poli en saluant mon colocataire d'une bise.
Je fais de même avec Matthias, Paul, Logan et Troy tout en ignorant royalement Connor, lui aussi entrain de déjeuner. Je prend place sur le siège de bar entre Troy et Sean, sur l'un des deux côtés de l'îlot, et refuse poliment la proposition de Logan de me servir mon petit déjeuner. Je n'ai pas très faim, à vrai dire.  Mais, finalement, j'accepte le reste des céréales de Troy et mange silencieusement, la tête baissée vers mon bol.
A plusieurs reprises, je surprend Connor me regarder d'un air perplexe, ainsi que mon pull. Il est vêtu d'un t-shirt noir à manche courtes tout simple, d'un jean noir étroit tout simple également, et je présume qu'il porte les mêmes chaussures noires qu'hier. Je prends le temps de détailler ses bras tatoués, ainsi que ses mains et ses doigts. Il y a toute sorte d'inscriptions, par exemple des lettres que je devine être dans le désordre, étant donné qu'elles n'ont aucun sens les unes à la suite des autres. Sur chacune de ses phalanges intermédiaires se trouve l'une d'entre elles, partant de gauche à droite : R, E, H, E, V, A, S. Je fronce les sourcils. Je me demande bien ce que cela veut dire. Et, quand mes yeux remontent à ceux de Connor, je le vois hausser les sourcils, sûrement parce que je le dévisage une nouvelle fois encore.
Pas étonnant qu'il ne m'apprécie pas, je passe mon temps à le détailler comme s'il était une bête de foire. Il faut vraiment que j'arrête.
Mais, seulement une fois que j'aurai découvert le sens des lettres et le, ou les, mots qu'elles forment. Je sais, je suis bien trop curieuse.
– Tu es dans quelle branche ? m'interroge Paul, m'arrachant à mes pensées.
– Les sciences, répond-je du tac au tac.
– Quelle dominante ?
– Norvégien. Et toi ?
– Norvégien ? S'étonne-t-il en haussant les sourcils. Pas mal. Moi, c'est l'anglais. Une visite du campus s'impose. Je t'accompagne, déclare-t-il à la suite en mettant son verre dans l'évier.
Je remarque que Connor le fusille du regard, mais je n'y prête pas attention. Ce doit être son regard normal.
Paul me regarde les sourcils haussés, attendant que je réponde. Malgré son attitude pour le peu incongrue lors de mon arrivée hier, j'ai l'impression qu'il tente de se rattraper, et je n'ai aucune envie de le repousser. De plus, il est vrai que j'ai besoin de prendre mes marques sur le campus afin de ne pas être totalement perdue le jour de la rentrée.
– Ok, pourquoi p...
– Non, s'élève la voix rauque de Connor qui me coupe. J'avais prévu de l'y amener, poursuit-il d'un air détaché en se levant à son tour.
Surprise générale. Les garçons au complet et moi même haussons les sourcils, étonné par cet aveux.
Ah bon ? Il avait prévu de m'y amener alors qu'il n'a montré envers moi qu'une attitude désagréable et désobligeante ?
Connor plante son regard sur moi et m'incite silencieusement à répondre par l'affirmative. Je ne sais pas ce qui me pousse à le faire, mais j'affirme son mensonge d'un signe de tête mal assuré.
– Tu es sûre, Abbie ? On peut tous t'accompagner, si tu veux.
Sean s'adresse à moi, mais il regarde Connor lorsqu'il articule ses mots, comme pour lui lancer un avertissement. C'est le deuxième regard menaçant qu'il lui adresse, le premier était hier lorsqu'il s'est montré impoli avec moi.
– Je...
– Elle est sûre, me coupe une nouvelle fois Monsieur Désagréable, répondant à son ami sans même le regarder.
L'atmosphère devient aussitôt pesant. Connor ne me lâche pas des yeux, et je n'ose pas dire un mot, le cœur battant. Pourquoi voudrait-il m'accompagner faire cette visite ? Il ne m'aime pas, ça paraît évident. Néanmoins, il ne détache pas son regard du mien, même lorsque Matthias essaie de discuter avec lui à propos d'une voiture ou je ne sais trop quoi. Ce dernier est obligé de claquer plusieurs fois des doigts devant les yeux de son ami pour qu'il lui prête enfin attention, et par la même occasion, pour qu'il détache son regard de moi.
Et, durant les dix minutes qui suivent, j'ai nettement l'impression que ce dernier suit mes pas. Nous mettons notre vaisselle dans l'évier, son verre se retrouve empilé dans le mien. Je nettoie le plan de travail à l'aide d'une éponge, il l'essuie à l'aide d'un torchon avant même que je n'aie fini. Je monte les escaliers, il me bouscule négligemment et passe devant moi pour s'enfermer dans sa chambre deux secondes plus tard.
C'est quoi son problème ?
Je m'apprêtais à mettre tout ça sur le compte de simples coïncidences, mais ce dernier événement me prouve que ce n'en sont pas. Je ne comprends pas. Prend-t-il plaisir à m'embêter ? Et pourquoi ? Aime-t-il me... me regarder ? C'est irrationnel, je sais. Mais dès lors que je tourne le regard vers lui, je le surprend à me fixer, alors j'en viens à me poser cette question. Puis, après réflexion, peut-être qu'il me regarde simplement pour se moquer silencieusement de moi. Cela ne m'étonnerai absolument pas de lui.
Deux heures plus tard, je toque à la porte de sa chambre, prête à partir. Ce dernier émet un « ouais » monotone et j'entre, ne refermant pas la porte derrière moi. Contrairement à ce que je pensais, sa chambre et bien plus spacieuse que la mienne. Il a même un écran plasma au mur, de ce que j'aperçois en entrant. De plus, contrairement à moi, lui a un petit couloir à l'entrée de sa chambre.
J'avance dans ce dernier et me trouve dans son viseur. Allongé sur son lit, un bras posé derrière la tête, il zappe négligemment les chaînes de la télé, fixée sur le mur en face de son lit. L'écran étant de profil à moi, je ne vois pas ce qui lui fait lever les yeux aux ciels. Peut-être est-ce moi ?
Il ne me regarde que lorsque je prends la parole :
– On y va ?
– Où ça ? S'étonne-t-il en posant les yeux sur moi, les sourcils haussés.
Il a perdu la mémoire ?
– Sur le campus. Tu as dis que tu m'y emmènerai aujourd'hui.
Connor me regarde d'un air ennuyé avant de reporter son attention sur la télévision. Il émet un léger rire sardonique  :
– T'y as vraiment cru ?
– Oh, je... euh... Je n'avais pas compris que c'était une blague, bégaie-je, confuse et gênée.
C'est pas vrai ! Non mais comment est-ce que j'ai pu croire une seule seconde que ce Connor voulait vraiment m'emmener faire une visite ? En fait, comment ai-je pu tout simplement croire qu'il voulait être un temps soit peu gentil avec moi ? Je suis ridicule.
Aussitôt, je tourne les talons afin de sortir de la chambre.
– Attends, m'interpelle-t-il et je me retourne. Il fait froid dehors. Tu... – il se racle la gorge – ... tu devrais te couvrir un peu plus que ça.
Il se lève de son lit et fait un signe de la main vers mon pull tandis que je fronce les sourcils. Il veut que je me couvre ? Enfin, il s'inquiète que j'attrape froid ? Non, je dois rêver. Mais, pourtant, non. Je ne rêve pas, il vient vraiment de me demander de me couvrir.
Il a raison, je devrais mettre une veste, même un bonnet, car les températures ont drôlement chuté pour un début septembre. Néanmoins, je ne comprends pas pourquoi me dit-il cela. C'est... étrange, qu'il devienne gentil soudainement. Qu'est-ce que ça cache ?

Bad Boyd - Remember | T1Where stories live. Discover now