— C'est quoi la vallée du festin ?

Ereyne leva les yeux au ciel et pria pour que Zelyan l'ignore mais l'immortel aimait à détailler ses tortures.

— Ce châtiment est somme toute assez classique, la vallée regorge de collines de nourriture, des montagnes de fruits mûrs et juteux, des pyramides de viandes embrochées au-dessus d'un feu les saisissant parfaitement. L'air embaume de mille parfums et sont éparpillés un peu partout des assiettes et des couverts pour vous servir. C'est vraiment un endroit des plus délicieux, le nec plus ultra de la cuisine humaine.

— Viens-en au fait, grommela Ereyne.

— Ma douce, tu manques réellement de poésie, soupira Zelyan avant de poursuivre. Vous marchez dans les allées à la recherche de ce que vous allez bien pouvoir manger, la faim vous tenaille de plus en plus, mais jamais vous ne réussissez à atteindre l'une des piles de nourriture. Un verre d'eau devient un luxe que vous ne parvenez pas à saisir, un morceau de pain vous sauverait, mais vous ne pouvez en attraper. Vous marchez, vous avez faim, vous avez soif, pour l'éternité.

Comme il l'avait annoncé, la punition était classique, mais efficace. Quetz, derrière, éclata de rire. A l'inverse John poussa un grognement et rappela qu'ils n'avaient rien mangé depuis un moment.

— Ayant manqué de nourrir une plante je pensais que tu aurais l'appétit coupé, se moqua Zelyan.

Néanmoins lui aussi commençait à avoir les crocs. La faim était l'ennemi du Bien, mais également celui du Mal. Etait-il seulement possible de penser à dominer le monde sans un bon rôti de polynésien dans le ventre ? Non.

La meute sud-américaine possédait de nombreux défauts plus ou moins handicapants mais, malgré son inhospitalité ancestrale, elle savait recevoir. Les sacrifices humains qui emplissaient autrefois les estomacs loups avaient été remplacés par des humains d'élevage mais les assaisonnements typiques de la région et la cuisson à cœur de la viande garantissait des plats de qualité. Quetz invita ses hôtes à l'accompagner dans la salle des banquets du grand temple. Rapidement, serviteurs humains et gestionnaires loups s'affairèrent pour dresser une table des plus alléchantes. Le mobilier de pierre était orné de mousses qui y poussaient sous le contrôle accru des jardiniers pour décorer tables et sièges sans entraver les convives. De même des lianes s'éparpillaient en tresses émeraudes qui parfois frémissaient au passage d'un individu. John retint un tremblement et s'installa à bonne distance.

Un geste du maître des lieux et des boissons servies dans des coupes d'or arrivèrent sur des plateaux faits du même métal. Le nectar était d'origine végétale, au grand soulagement d'Ereyne. Le liquide, léger en bouche, ravit ses papilles. Caius fut honoré par un verre plus animal. Quetz garantit la bonne provenance du sang, assurant que ce-dernier venait d'être prélevé dans les règles de l'art.

— Jamais un vampire ne fut empoisonné à ma table, déclara-t-il avant de lever son verre à la santé et à la gloire de leur père. Puisse la mort poursuivre Dieu et ses soldats !

— Et que la victoire t'accompagne dans la requête de ce continent, compléta Zelyan en levant également sa coupe.

Ereyne murmura quelques mots en faveur d'une paix bien utopique puis dirigea son attention vers la pièce aux dimensions impressionnantes. Le temple était une grande pyramide à degrés qui avait résisté aux millénaires. La pièce, centrale, était conçue pour intimider et asseoir la position dominante de Quetz. De nombreuses statues d'origine précolombienne mais également des œuvres plus récentes, dont quelques armures prises sur des conquistadors et quelques uniformes militaires enrichis de kevlar témoignaient du passage du temps. Comme dans la plupart des cités zelyaniques et sanctuaires, Aztlan était un musée vivant, une mémoire de l'Histoire.

Caius, assis à droite de l'immortelle, lui confia envier Quetz.

— Ces lieux me font presque regretter de ne pas avoir eu de cité à protéger.

— Tu es trop jeune, lui répondit Ereyne, bienveillante. Les cités furent fondées bien avant ta venue au monde. Elles furent une réponse à l'offensive d'Adam, qui avait esséminé les Hommes dans toutes les régions du globe.

— Et pour contrer l'apparition de ces îlots de loups et de vampires, et de toutes les religions qui en découlaient, Adam redéploya sa foi, termina le vampire. Je suis au fait de cela. Mais à l'époque, si j'avais su, si j'avais pu, j'aurais fait de Rome la plus grande de toutes les cités, la puissante.

— Elle le fut non ? Elle l'est encore, pas comme Zelyan le souhaiterait, mais elle est toujours émergée, et toutes les routes y mènent.

Cela n'ôta pas la mélancolie qui menaçait d'envahir complètement le cœur du vampire. Le grand César jalousait ces maîtres de cités qui n'avaient pas un dixième de son génie stratège. Il ne l'avouerait jamais mais, si ces têtes de pioches de Zeus, Quetz, Waban et autres Ysun l'avaient écouté pendant le Déluge, ils domineraient le monde, César en imperator.

— Magnifique non ? les interrompit Tez alors que les plats faisaient enfin leur apparition dans la salle.

Transportés sur de larges et lourds plateaux qu'un Homme seul ne pouvait soulever, des corps sans vie et bien dorés par une cuisson à la broche, accompagnés par quelques brunoises de petits légumes locaux, furent déposés devant Zelyan qui s'en lécha les babines.

— Enfin ! Hum, sens-moi ça ma douce, du cuissot tomate, haricot et... et... serait-ce une pointe de piment que je devine ?

Le cuisinier en chef, venu en personne contrôler l'appréciation de ses plats, s'inclina avec un sourire.

— Tout à fait maître, et, si je puis me permettre, c'est un honneur de vous servir.

— Je sais, répondit Zelyan sans modestie.

Ereyne, qui fronçait le nez depuis l'arrivée de ces malheureux, soupira bruyamment.

— J'aimerais une viande qui ne soit pas humaine, demanda-t-elle brusquement alors que Zelyan lui glissait un tibia entouré de muscles bien cuits sous le nez.

— Ne veux-tu donc point goûter ma douce ? Il est impoli de refuser devant celui qui t'a préparé ce repas. Je suis étonné que tes parents ne t'aient pas mieux éduquée.

L'immortelle eut une exclamation de dégoût et repoussa le bras de son compagnon avant de réitérer sa demande. Elle était habituée à ces banquets mais psychologiquement c'était toujours difficilement supportable.

— S'il vous plaît.

Le cuisinier s'inclina une nouvelle fois, et, après s'être confondu en excuses pour son oubli, s'en fut préparer une volaille. Les autres immortels ne l'attendirent pas pour dévorer leurs humains. John avait littéralement le nez dans son plat, tout comme Tez, qui mangeait comme un porc. Cette vision du loup habituellement si charismatique couvert de sauce avait quelque chose de cocasse. De l'autre côté de la table, Quetz, à gauche de Zelyan, était aussi sale, un trait que le couple de loups partageait. Le silence se fit, modulo les craquements d'os sous les dents, l'aspiration ou la léchouille de la sauce, l'avalement de morceaux de chair... Ereyne, essayant d'ignorer cette horreur, compta les dalles au sol, puis les pierres aux murs et au plafond. Chaque éclatement d'os sous les crocs de son compagnon, sur sa gauche, lui provoquait un frisson. A croire que Zelyan mangeait expressément la bouche ouverte, afin de faire un maximum de bruit.

— Délicieux ma douce, tu devrais vraiment goûter, cette chair est aussi tendre que toi, j'ai presque l'impression de te dévorer.

Cela le fit rire, comme à chaque fois depuis des millénaires, et il manqua de s'étouffer avec un bout de triceps.

— Cela t'apprendra, répliqua Ereyne. 

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Merci d'avoir lu ce chapitre ! 

Axel. 

PS : J'ai commencé le calendrier de l'avent 2018, livraison dans quelques jours ;-)


Immortels 2 : PurgatoireWhere stories live. Discover now