Rêveries étudiantes

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Dans le cadre de mes nouvelles de Noël 2018, @FloraEribix m'a lancé un défi : écrire une nouvelle comportant les mots "chocolat", "pistache", "dentifrice", "M&M's", "Harry Potter", "dessin", "table", "mordre", "sourire", "regarder", la ville de Paris et un campus universitaire, avec un minimum de trois personnages. 

Au, et j'étais censée faire aussi bien que Les Misérables de Victor Hugo aussi, mais ça c'était en option je pense ^^

Au final, ça a donné quelque chose d'assez classique je trouve, mais le défi de placer tous les mots était intéressant. 

Bonne lecture !

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Je vois Thomas Dunelli comme une superbe glace à point nommé par une chaude journée d'été. Une glace avec pile mes parfums préférés : des yeux vert pistache, des cheveux brun chocolat. Deux saveurs qui se marient si bien : la douceur salée de la pistache, la pointe amère du cacao le plus noir... Dunelli est tout cela pour moi. Une petite friandise glacée, avec son air intimidant et sa solitude volontaire, un dessert que l'on voudrait bien déguster avant qu'il ne fonde, mais c'est bel et bien moi qui fonds...

Oui, Thomas Dunelli. Troisième année de licence en Histoire de l'Art, quand je ne suis qu'en première année. Elève brillant, bien sûr, derrière ses lunettes fines et son air concentré. Impossible à approcher. Toujours plongé dans un livre ou un autre, toujours en retrait par rapport à ses camarades, sauf lorsque nos professeurs l'interrogent. Chaque jour, je remercie le ciel d'avoir choisi cette option d'épigraphie maya qui nous place par le hasard des choses côte à côte chaque mercredi après-midi.

Mais je ne me fais guère d'illusions. Je fantasme, tout au plus, derrière mes sages petites notes d'étudiante, sans avoir la prétention d'attirer son regard là où tous les autres ont échoué. Cela me convient de me conduire ainsi en spectatrice lointaine, appréciant l'intelligence que je lis sur ses traits, remplissant mon ignorance de mille scénarios sur sa vie et sa personnalité. Je me plais à lui trouver une petite ressemblance avec Harry Potter : il n'est pas très grand, et ses yeux si verts brillent sous ses mèches ébouriffées.

Ce mercredi-là, sur le campus de l'Ecole du Louvre à Paris, je suis en retard. Ma friandise préférée est déjà là. Je lui adresse un bonjour et un sourire, comme à chaque fois, comme je le fais pour tous mes autres camarades. Il me répond, poli comme à son habitude. Cela suffit pour emplir ma journée d'un petit rayon de Soleil doré. C'est un peu pitoyable, je sais, mais je m'en contenterai. Peut-être que j'aime ainsi conserver le mystère. Peut-être que cela me plait de l'imaginer ainsi sur son piédestal, sans prendre le risque d'être déçue par la réalité. Ou peut-être est-ce simplement ce que je me dis pour excuser ma lâcheté.

- Bonjour à tous, déclare notre professeur, monsieur Choisy, en déposant son traditionnel cartable élimé sur sa table.

C'est un homme d'âge mûr, à l'air jovial et enthousiaste, perpétuellement enseveli sous un amoncellement de travail. Aujourd'hui, il traine encore une petite trace de dentifrice au coin de son menton mal rasé. Mais il prend néanmoins toujours le temps de bien s'occuper de nous :

- C'est le dernier cours avant les vacances aujourd'hui ! s'exclame-t-il comme si c'était Noël. Je vous ai apporté une petite surprise...

De son sac, il sort alors un paquet de M&M'S qu'il fait passer à travers la salle de classe. Mon cœur s'accélère. C'est bête, je le sais, mais ce sera l'occasion d'un autre contact avec Dunelli. Un échange, un regard, un sourire peut-être...

Le paquet arrive jusqu'à lui. Il se tourne, me regarde, me demande de son air sérieux :

- Tu en veux ?

Lui-même ne s'est pas servi. J'acquiesce sans pouvoir articuler un seul mot, tendant la main pour recevoir le paquet. Il saisit mes doigts entre les siens et verse alors silencieusement une copieuse dose de petites billes colorées au creux de ma paume.

Je suis tétanisée. Par miracle, deux mots s'échappent de ma gorge :

- Et toi ?

Il me considère un instant, puis pioche un bonbon dans ma main. Il sourit. Ce sourire me donne envie de le mordre. Sérieusement, de le mordre. Comme on croquerait dans une glace à pleines dents. Je veux goûter à ce chocolat et à cette pistache. Je veux m'en goinfrer jusqu'à en avoir mal au crâne...

- Mademoiselle de Luiny ? fait soudain la voix de mon professeur, me ramenant à la réalité. Vous voulez bien traduire la prochaine phrase, je vous prie ?

Rougissante, je profite de cette diversion pour me ruer au tableau. J'ignore si Dunelli a remarqué mon trouble. Si c'était le cas, serait-ce une si mauvaise chose... ?

A mesure que je couvre le tableau de petits dessins mésoaméricains, j'essaye de regarder discrètement par-dessus mon épaule pour observer sa réaction, mais je ne réussis qu'à me tordre le cou. Au final, j'achève ma traduction – piteusement – et je retourne m'asseoir alors qu'un prochain élève est envoyé au tableau.

Je me replonge dans mes notes, comme si elles pouvaient faire disparaitre ma gêne par enchantement. C'est là que je l'aperçois. Une petite ligne calligraphiée, dans un coin de ma page, et qui auparavant ne s'y trouvait pas. Je me recule sur ma chaise, stupéfaite. D'une écriture fine et impeccable, quelqu'un a profité de mon absence pour écrire : « Est-ce que tu vas au gala jeudi soir ? ».

Je reste immobile. J'ai cette impression stupide que cette phrase se dissipera si j'ai le malheur de regarder autour de moi. Je finis par le faire, pourtant. J'aperçois Dunelli, focalisé sur son étude du tableau, son stylo à encre noir tournoyant entre ses doigts.

Je souris pour moi-même. Pour la première fois, je laisse enfin une chaleur bienfaisante s'épanouir dans mes joues sans me soucier de la cacher. Lorsque vient le tour de Dunelli de passer au tableau, je n'hésite pas une seconde. Du bout de mon propre stylo, j'inscris, pile au milieu de la marge, un petit « Oui » plein de promesses.   

Contes MacabresWhere stories live. Discover now