Rosaria

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Voici une nouvelle que j'ai écrite il y a quelques temps pour un concours. Je n'ai pas été retenue mais je voudrais quand même la partager avec vous =)

N'hésitez pas à me laisser votre avis ;D

Bonne lecture !

Natalhea

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Le mouchoir recouvrait le visage de l'enfant comme un suaire. Sa pâleur de nacre n'évoquait plus que la mort, l'aspect qu'avait pris la peau sur les chairs, comme un prélude à la blancheur des os. Sa trame délicate se creusait à la base du cou, dessinait le visage, cueillait entre les lèvres la promesse d'un baiser qui ne pourrait jamais éclore. Les croisillons de fil blanc saisissaient alors la finesse du nez, la rondeur des joues encore marquées d'innocence. Puis le sang prenait le pas sur l'étoffe : une broderie de motifs vermeils s'écartelait en arabesque à la pointe des pommettes, pour se loger juste là, dans le creux des yeux, deux roses rouges, deux puits aveugles et sans âme. Le dessin rayonnait jusqu'aux tempes et soulignait la noblesse du front, accrochait quelques pointes de cheveux blonds à la bordure de la toile. Une bougie sur la table de chevet animait le relief de ce monde caché. Le hasard de la flamme remplissait le tissu de lumière et d'ombres, suggérant tantôt la vie, tantôt la mort, substituant un crâne au visage dormant sous le voile.

Raphaël étira le mouchoir du bout des doigts. Inconsciemment, il ajusta les deux roses pour qu'elles correspondent parfaitement au regard de sa sœur. Elle semblait ainsi dotée d'orbites rouges, pleurant des pétales de sang sur la blancheur du tissu, creusant plus que jamais l'aspect qu'elle revêtirait dans la tombe. Les fleurs brodées recouvraient ses yeux comme un paiement funèbre pour le passeur du Styx.

Une fascination étrange poussa le jeune homme à s'approcher. Par-delà ses larmes, par-delà les soieries lourdes de la bière, le visage de sa sœur appelait son regard une dernière fois. Mais le mouchoir disloquait ses traits, les fondait en ses fibres pour n'en laisser que le tracé effacé, la ligne vaporeuse, l'évocation onirique que deviendrait bientôt son souvenir. Raphaël caressa sa joue à travers le tissu, il en sentit la froideur. Mais un autre détail l'arrêta. Prisonnier des points du maillage, un minuscule crâne lui souriait. Et à côté de lui, un autre, et encore un autre : sous ses yeux défaits, toute la trame du mouchoir se changea en une armée de mâchoires disloquées, d'orbites vides, de raclements osseux venus des entrailles du cimetière. Un léger souffle d'air agita la toile.

Raphaël s'enfuit de la chambre cette nuit-là. Il abandonna sa sœur avec le mouchoir qui l'avait accompagnée depuis sa naissance. Rosaria fut mise en terre le lendemain matin.

XXX

Raphaël Mestre avait toujours eu un esprit ouvert à la perception. Issu d'une famille ancienne, sa mère était morte en donnant naissance à sa sœur quelques douze ans plus tôt, et son père s'était fait un devoir d'assurer à ses enfants la meilleure éducation. Aussi Raphaël avait-il grandi subjugué par les gloires de l'Histoire, humble face à la Nature, étourdi de musique et élevé dans son âme par les voix des penseurs, des poètes et des dramaturges.

On n'aurait pu trouver plus grande docilité chez un enfant. Dès le berceau, Raphaël avait illustré un tempérament calme et curieux, ouvert à toutes les expériences de la vie. Il faisait partie de ces âmes que la rêverie entraînait parfois trop loin dans les confins du monde, mais sa tendre réserve et son extrême douceur rachetaient bien vite cet esprit vagabond. Il s'adonnait à la lecture avec passion, s'essayait volontiers à la poésie, et trouvait dans la contemplation d'une fleur, d'un ruisseau ou d'un paysage plus de satisfaction que dans les plaisirs matériels des hommes de son temps. Il avait le don de voir la beauté dans tout ce que la vie avait à lui offrir, et cela faisait de lui un être d'une rare sensibilité.

Contes MacabresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant