Marie-Antoinette

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Dans le cadre de mes nouvelles de Noël 2017, une de mes amies m'a donné un sujet historique difficile : imaginer les dernières pensées de Marie-Antoinette sur l'échafaud...

Je vous laisse juger ! 

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16 octobre 1793.

Le jour se lève sur la Conciergerie, et, pour moi, pour la dernière fois. Tous les recours, tous les subterfuges, tous les procès et les cérémonies des hommes ont été accomplis. Je vais être exécutée ce jour, à midi, sur la place Louis XV, devant la foule de mon peuple rassemblée pour me voir mourir.

Quelles pensées peuvent saisir le cœur d'une femme à cette seule perspective ? Depuis des mois maintenant, j'ai l'impression d'avoir assisté à la chute d'un monde, la chute d'une réalité que j'ai toujours connue, terrible, inéluctable, telle une avalanche dont le roulement sourd a fini par me rattraper pour m'emporter. Elle a déjà pris Louis. A présent, c'est mon tour.

Comment en est-on arrivés là ?

Quand je repense à toutes les erreurs qui ont été commises, toutes les maladresses, les paroles malheureuses, toutes les incompréhensions et les prises de position que j'aurais pu m'épargner... Existe-t-il un monde où un tel destin aurait pu nous être évité ? Existe-t-il une parole, un moment, un jour où nos routes ont basculé sans espoir de retour ? Aurait-il été possible de changer quelque chose... ?

A quoi me servent ces réflexions, maintenant... Je ne peux plus revenir en arrière. Mon esprit tente de me distraire de ce Soleil qui se lève, et de ce qu'il apporte avec lui... Peu de gens ont l'opportunité de contempler leur mort dans les yeux. Est-ce un don ou une damnation ? Avant ce jour, alors même que ma sentence s'écrivait dans les procès-verbaux des tribunaux, je crois que je n'avais jamais vraiment pensé à la perspective de ma propre mort. Et je la vois se dresser maintenant, tel un mur, absolue et inévitable.

Il est l'heure. J'essuie les tâches d'encre sur mes doigts : on m'a laissé rédiger une dernière lettre à ma belle-sœur, Marie-Elisabeth, mais je crains que cette lettre ne lui parvienne jamais. Je sais que le sceau en sera percé à peine la cire refroidie. Je sais que d'autres s'empareront de mes mots pour en faire ce qu'ils veulent : dernière déclaration, acte politique, ultimes revendications d'une souveraine qui restera gravée dans les mémoires comme la femme la plus méprisée de France...

De tout cela, je n'en ai cure. Mon long isolement dans l'austérité de la Conciergerie m'aura permis d'aborder ces quelques lignes dans le seul secret de mon cœur. En les rédigeant, je n'ai eu de souci que de ceux auxquels elles étaient destinées : ma belle-sœur, et mes enfants. Peut-être le regard des historiens sera-t-il déçu de me trouver, somme toute, si humaine. Si proche de la mort, confrontée à ma propre finitude, je ne suis plus Marie-Antoinette d'Autriche, reine de France et de Navarre. Je redeviens une femme comme les autres : une sœur, une veuve, une mère, soucieuse de ses proches et de l'empreinte qu'elle laissera dans leur cœur...

Cela fera bientôt trois mois que je n'ai pas vu mes enfants. Marie-Thérèse, Louis... Que pensez-vous de moi ? Quelle perception pouvez-vous avoir des évènements qui nous frappent ? Quel souvenir laisserai-je dans votre mémoire... Vous élèvera-t-on dans la haine et le mépris de vos parents ? Haïrez-vous votre mère comme ceux qui réclament ma mort à cet instant même, non loin de là, sur la grand-place Louis XV ? Mon cœur saigne rien que d'y penser, mais la haine, mes enfants, c'est mieux que la mort. J'espère que l'on vous laissera vivre. J'espère que mon sang épargnera le vôtre. A l'heure où ma vie s'achève, seule la vôtre m'importe. A travers nos enfants, ne devenons-nous pas un peu immortels ?

Contes MacabresWhere stories live. Discover now