Chapitre 14 : Kaléidoscope Liquide (1)

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- IL FAUT QU'ON RENTRE, ALEX.

Le soleil s'est levé, au-dessus du petit lac près duquel nous avons établi notre campement. Involontairement, nous nous sommes endormis l'un contre l'autre, nos jambes baignant toujours dans l'eau, à se demander comment la fraîcheur de cette dernière avait bien pu ne pas nous réveiller.

Jonathan se redresse le premier, ôtant la couverture de mes épaules. La fraîcheur matinale, mêlée à l'humidité de la rosée du matin m'heurte d'un coup, et je frissonne. La fin du mois d'avril approche, pourtant le Michigan ne se décide pas à revêtir sa robe printanière. La plupart des fleurs sont encore enfouies sous terre, les bourgeons semblent ne pas vouloir éclore. C'est comme si, ici, le temps s'arrêtait, non désireux de faire comme dans tous les autres états du pays. Un coin qui n'appartiendrait pas au monde réel, ce que Jonathan semble avoir bien compris puisqu'il en a fait son Pays de Nulle Part.

Pensif, je souhaite secrètement que le temps s'arrête réellement ici, à Neverland, pour moi et Jonathan. Je ne veux pas retourner à Penthourne, pas si vite. J'aimerais rester tellement plus longtemps ici, plus longtemps près de lui, lui parler, apprendre tout de lui, mais le temps file entre nos doigts.

-« Jonathan », je murmure, mais il a déjà presque atteint la voiture, hors de portée.

A regret, je me lève moi aussi, jetant un dernier coup d'œil au lac et à la forêt environnante. Tout est revenu à la normale, plus aucune liane exotique, plus aucune crique, plus aucun bateau pirate, et aucune trace du volcan que nous avions gravi la veille, si ce n'est une colline. Pourtant, lorsque je revois ce paysage aujourd'hui, identique à celui qui m'avait désappointé la première fois, je ressens tout différemment. Le lieu a beau ne plus être le Pays Imaginaire féerique auquel nous avons donné vie, il n'en reste pas moins fantastique pour autant. Dans les moindres détails de la végétation, les moindres reflets sur le lac, la magie resplendit.

Soudain, je m'aperçois que ma main tremble. Non pas de froid, ou par je ne sais quel manque de contrôle de mon propre corps, mais parce qu'elle recherche intensément quelque chose : un crayon. Une envie folle de créer vient de prendre possession de mon corps. Des images défilent dans mon esprit, se mélangeant les unes aux autres, toutes plus colorées et plus imaginatives que la précédente. Mon esprit n'arrive à ne s'arrêter sur aucune d'entre elles, en totale effervescence.

Je n'ai plus ressenti ce sentiment depuis des années. Depuis quatre années pour être exacte. L'envie de créer, quoi que ce soit, de s'exprimer par une quelconque voie.

Aussitôt que j'en prends conscience, je me précipite dans les bras de Jonathan, lui sautant au cou comme un enfant à qui l'on vient d'offrir des chocolats.

- « Je l'ai retrouvé, je l'ai retrouvé ! » je ne cesse de répéter, euphorique. « J'ai retrouvé l'inspiration, Jonathan ! Il faut que je trouve un carnet. »

Avant même qu'il n'est pu dire mot, je m'échappe de ses bras et m'élance vers la voiture, sentant son regard rieur sur mon dos tandis que je fouille machinalement dans le coffre à la recherche de papier et d'un crayon. Finalement, je parviens à discerner la couverture bleue du carnet au fond dans mon sac de sport et je me précipite dessus, le haut de mon corps disparaissant dans le coffre au gré des moqueries de Jonathan qui s'est approché de la Chevrolet. Triomphant, je ressors le fameux objet à l'origine de tout, bras levé tout en m'exclamant « Eurêka, j'ai trouvé ! »

Aussitôt trouvé, aussitôt mon esprit surexcité s'active et s'acharne sur les pages vierges. Griffonnées, grisées, gribouillées, les pages filent et défilent, en petit ou grand dessin, représentation fictive ou imaginaire, poèmes ou idées d'histoires. Mon esprit fourmille, bouillonnant, oubliant un instant que je suis assis sur le rebord d'un coffre inconfortable. Je ne vois plus le temps passer, et je ne souhaite rien d'autre que de ne jamais m'arrêter, malgré la douleur qui transperce mon poignet à cause du mouvement, malgré la présence de Jonathan à mes côtés. J'ai beau éprouver de très forts sentiments pour lui, réciproque qui plus est, ma soif de création peut enfin être comblée, et je n'ai jamais été aussi heureux qu'aujourd'hui. Et tout ça, c'est grâce à lui.

Le Chant des arbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant