Chapitre 8 : "Envole-toi"

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J'AI FINI PAR FERMER LES YEUX. Cette nuit, j'ai rêvé que deux colombes blanches volaient dans le ciel, en direction du soleil, toujours plus haut, jusqu'à ce qu'elles se séparent, l'une d'entre elles continuant à mi-hauteur, tandis que l'autre continuait sa route vers l'astre de feu. Elle avait fini par s'enflammer et chuter du ciel, décédant si vite que l'autre n'avait rien pu faire pour la sauver.

L'histoire d'Icare et de Dédale m'avait toujours traumatisé. Chacun voit ce qu'il souhaite dans les mythes grecs, mais pour moi, le mythe d'Icare n'avait jamais renvoyé l'image positive d'un « respecte les lois et tout ira bien pour toi » mais plus celle d'un négatif « la liberté n'est jamais acquise ». En tant qu'ancien rêveur, j'avais toujours eu peur de me brûler les ailes tel qu'Icare, et de tout perdre à jamais, sans qu'aucun Dédale ne puisse rien y faire. Désormais, je savais que j'avais perdu mes ailes, mais je ne cessais pour autant de croire que je pourrais les récupérer, récupérer l'inspiration, simplement en essayant, et en réessayant, peu importe le temps qu'il me faudrait. Cela faisait bientôt cinq ans qu'elle s'était envolée, et cinq ans que j'étais tombé.

Jonathan dort encore, les bras enroulés de ma couverture, la serrant contre sa tête comme un traversin. Il a apparemment le sommeil agité apparemment car il murmure dans sa somnolence. J'ai dû mal à comprendre ce qu'il dit, mais j'arrive à déceler le prénom « Chloé ». J'ignore de qui il s'agit, et je ne compte pas lui demander. Je pense que Jonathan, tout autant que moi, attendrons un peu avant d'en dire plus sur nos origines, lorsque nous nous sentirons prêts. Du moins, j'espère que ce jour viendra, je m'en voudrais de ne plus le voir.

Je sors du sac de couchage, laissant « Peter » se reposer et récupère mon sac, dans lequel se trouve toujours mon repas d'hier soir. Quittant l'abri de la cabane, je m'éclipse dehors et grimpe dans les branches, réveillant deux écureuils endormis qui s'enfuient à toutes jambes. L'arbre se ramifie et le bois devient plus fin, m'empêchant de poursuivre mon ascension. Je m'assois à califourchon sur une des ramifications, profitant de la vue tout en croquant dans ma pomme.

La vue est splendide ce matin. Les feuillus retrouvent lentement leur parure verdoyante, redonnant sa couleur à la forêt de Huron encore endormie par l'hiver. Une odeur de sapins emplit l'air, chatouillant mes narines, portée par le vent frais de cette matinée. En bas, dans la clairière, la neige a à peine fondu depuis hier soir. Quelques pousses de perce-neige ont tracés leur chemin au travers de l'étendue, leur tige tranchant avec le blanc environnant. Quelques animaux ont laissés leurs empreintes dans la neige, venus s'abreuver au ruisseau ; au jugé du nombre d'empreintes, ils sont bien plus que la dernière fois. Le printemps arrive, la forêt s'éveille, la vie reprend son cours.

Je sens alors un regard sur moi. Sur ma droite, un hibou peu craintif m'observe de ses deux grands yeux dorés, lançant des regards à mon sac dont dépasse un sandwich non entamé. Avec un petit rire, je lui en lance un morceau, qui disparaît immédiatement dans sa gorge. J'ignorais que les sandwichs thon crudités entraient dans l'alimentation des hiboux, mais celui-ci semble apprécier. Il dévore mon sandwich et s'envole aussitôt qu'il s'aperçoit qu'il n'a plus rien à manger, en direction du lac. Mes yeux se baissent alors, et j'aperçois une silhouette au sol, qui m'observe. Durant un instant, nous restons tout deux immobiles, nous jaugeant du regard, à près de dix mètres d'altitude de différence. J'ai dû mal à discerner ses traits d'où je suis, mais je sais que je ne connais pas cette fille. Et que je n'aurais sans doute pas le temps de la connaître, car elle finit par disparaître entre les arbres, après m'avoir lancé un signe énigmatique où elle battait simultanément des bras avant de me pointer du doigt.

Le Chant des arbresWhere stories live. Discover now