Chapitre 12 : Neverland (1)

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IL FAIT ENCORE JOUR DEHORS. Jonathan conduit, sifflotant la mélodie diffusée par l'autoradio. Les lumières, presque trop lumineuses pour mes yeux fatigués, me semblent stroboscopiques. Nous roulons vers le nord, longeant le lac Huron, en direction du Canada.

Il y a bientôt deux semaines, Jonathan m'avait annoncé qu'il voulait m'emmener quelque part pour les vacances, mais avait refusé de me dire où, malgré toutes mes questions. J'aurais pu refuser pour des dizaines de raisons, mais il semblait tellement enthousiaste rien qu'à l'idée que ça avait attisé ma curiosité. Et, lorsque je suis intrigué, rien ne m'arrête, et je crois qu'il l'a bien compris.

-Saleté de pont, crache Jonathan.

Nous venons de rejoindre l'autoroute et avec elle les centaines de routiers qui rentrent chez eux, traversant le détroit séparant les deux parties de notre état. Nous avions quitté Penthourne il y a bientôt trois heures, et, malgré nos espérances, nous sommes tout de même coincés dans les embouteillages, à croire qu'ils ne cesseront jamais.

-Comme ça, j'ai l'impression de ne pas avoir quitté la maison. Et dire que ce sera comme ça jusqu'à Sault St-Marie, soufflé-je, ennuyé à l'idée de passer une heure de plus coincé entre deux voitures.

-Détrompe-toi. Dès qu'on passe le pont, on vire.

-Oh ! Vers où ?

-L'est...et, attends toi, t'essaierais pas de gâcher la surprise ?

Je lève les épaules en signe d'innocence. Mon petit ton innocent n'a pas suffit à lui faire révéler notre destination. Jonathan est loin d'être bête. Néanmoins, je sais au moins dans quelle direction nous allons, et nous continuerons de longer le lac Huron, à croire que Jonathan souhaite en faire le tour. (Bien que pour cela il fasse prendre le ferry, et qu'aucun de nous deux n'ait payé pour le prendre). Dans ma tête, les hypothèses se multiplient quant à notre possible destination, et je sais bien que, tôt ou tard, je finirais par la trouver.

-Tu sais, ce n'est pas la destination qui compte, c'est le voyage, fais Jonathan, comme s'il lisait dans mes pensées.

-Peut-être, mais la nuit va bientôt tomber, et, voyager de nuit n'est pas le plus beau des voyages.

Jonathan rit alors. Un éclat pur, cristallin, comme j'en ai rarement entendu.

-Tu ne dois pas souvent quitter Penthourne alors. Les voyages de nuits sont les plus merveilleux. Jeter un regard aux paysages nocturnes suffit à m'emporter au loin, dans d'autres pays inexistants.

-Tu ne peux pas voir tout ça juste en regardant un ciel noir. Ce n'est pas parce qu'il n'y a plus de lumière qu'un arbre vient soudainement d'une autre dimension, je lui réponds, décroisant les bras et secouant les mains, tel un magicien.

-Bon sang, j'attendais mieux de la part d'un enfant perdu, Alex. Allez, jette un œil au ciel, où tu ne trouveras jamais le chemin qui nous mènera à destination, me fait-il avec un clin d'œil.

Haussant un sourcil d'incompréhension, je daigne lancer un regard par la vitre de la portière. Les derniers rayons du crépuscule, orangés, s'effacent lentement du ciel, laissant place à l'obscurité. Le soleil disparait déjà à l'ouest, et l'est, vers lequel nous n'allons pas tarder à rouler, porte déjà son voile nocturne. Avec une moue boudeuse sur le visage, je déclare à Jonathan qu'il a tort et que, si le ciel est certes beau à voir sous ses dernières lueurs, il n'a rien de si particulier. Avec un sourire moqueur, il m'annonce que je suis l'être le plus impatient qu'il ait connu, et que mon manque d'imagination le décevait. Ce n'est pas ma faute s'il voit des choses là où elles ne sont pas.

Le Chant des arbresWhere stories live. Discover now