Hopeless Place - Dark Romance

3

La soirée commence un peu plus tard. Alors que je suis assise depuis ce qui me semble une éternité, bloquée dans une position statique, des fourmis me courent sous la peau. Des hommes font leur apparition. J'arrête de compter à partir de la trentaine. Ils évoluent en groupes ou seuls. Certains portent des masques, d'autres doivent se moquer d'être reconnus. Un buffet a été dressé avant leur arrivée, et chacun s'y sert. Il y a une musique d'ambiance digne d'un ascenseur, du Vivaldi ou quelque chose de ce genre, mais cela ne diminue pas l'agitation palpable, comme le calme avant la tempête.

Les filles arrivent à leur tour. Certaines sont nues, d'autres ont revêtu des déguisements, de l'accoutrement de marquise cochonne à celui de pute couverte de latex. Je sens mon ventre se creuser d'appréhension.

Une fois, j'ai vu Eyes Wide Shut de Kubrick en douce. Je m'étais ennuyée et endormie après la scène de sexe un peu émoustillante des deux héros ; à l'époque, je préférais nettement regarder Scream. Pourtant, à cet instant, j'ai basculé dans un film d'horreur étrange qui aurait télescopé un film libertin et décadent comme celui de Kubrick.

Qu'est-ce que ce bordel à avoir avec moi ? J'ai accumulé plus de questions que de réponses. L'effet de la drogue s'estompe enfin, et j'ai l'impression de pouvoir à nouveau réfléchir librement, ce qui ne m'était pas arrivé depuis mon réveil dans la pièce rouge.

Mon cerveau a l'air d'un oiseau affolé qui ne cesse de se taper sur une même vitre. Je ne sais plus ce à quoi je dois penser en premier : comment me sortir de là, comprendre ce que je fais ici ou intégrer les informations, toutes plus effrayantes les unes que les autres, qu'on me donne. Y a-t-il la moindre chance que cette histoire ne soit qu'une mauvaise blague ? Ça serait trop glauque.

L'idée que mes parents m'ont vendue me revient. Mon cœur se tord un instant. Je pourrais être choquée ou réfuter en bloc cette affirmation de Nadja, mais honnêtement, je les connais. Je ne viens pas d'une famille particulièrement aimante, c'est un fait, mais jamais je n'aurais cru que ça puisse aller jusque-là, mais... au fond ?

Pour la première fois depuis mon réveil, je suis assaillie par la peur, les doutes et une panique tellement brute que je sens mes nerfs craquer et je fonds en larmes pour de bon. Je sanglote en silence en regardant ces hommes en bas, ayant parfaitement conscience de comment c'est censé finir selon Nadja... Mes pleurs m'étouffent, mais je serre les dents, me renfonçant dans mon siège pour ne pas me faire remarquer. Surtout pas maintenant.

Une grande femme habillée d'une longue robe noire apparaît dans l'escalier. À son arrivée, tous se taisent. Elle est blonde, elle a un port altier. Son visage est lourdement fardé, et je vois le rouge incendiaire de ses lèvres de là où je me trouve.

— Bienvenue à tous, je suis Blanche, attaque-t-elle d'une voix forte et claire. Je sais que certains d'entre vous ont beaucoup attendu pour pouvoir venir nous rendre visite, et j'en suis désolée. Vous avez tous conscience que les places dans les limousines qui vous ont amenés sont chères, et il faut les mériter. J'espère que le voyage s'est bien passé et je vous souhaite à tous une nuit merveilleuse. Débauche, luxure, tous les plaisirs seront de la partie, n'en doutez pas. Nous avons les meilleurs drogues et alcools, et, surtout, les plus belles filles.

Les hommes approuvent, les femmes ont aussitôt l'air de parader, certaines bombent la poitrine, seules quelques-unes restent indifférentes.

— Nous vous proposons comme réjouissances ce soir une grande chasse ! Le gibier sera les délicieuses créatures que vous voyez tout autour de vous...

D'un geste large, elle englobe toute la salle. Un nouveau murmure traverse l'assistance. Chacun semble prêt à s'élancer, ils se retiennent de plus en plus difficilement, les mouvements se faisant plus pressants, le brouhaha plus intense. Je pense à des fauves qui tournent en rond dans une cage, attendant leur heure.