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Son regard, qui se veut malicieux, s'ancre dans le mien et me fait tressaillir. Notre discussion vire sur les signes astrologiques et leurs soi-disant compatibilités. Je lui fais part de mes quelques connaissances - peu fiables, certes - sur le sujet :

- On est censées être en conflit, toi et moi.

- Pourquoi ?

- Parce que ton signe est rattaché à l'élément du feu, le mien à l'élément de l'eau.

- Et qu'est-ce que ça fait ?

- On peut te caractériser par des mots tels que : flamboyance, enthousiasme, générosité ; pour moi, ce serait plutôt : introversion, émotivité, mystère.

- Justement, de mon point de vue, on peut être complémentaires. On a besoin l'une de l'autre pour que la balance reste stable.

- Je préfère cette vision des choses.

- Moi aussi. Je vais pas m'arrêter de te côtoyer parce que les astres nous font des prédictions infondées ! Et puis quoi encore ?

Je viens mordre ma lèvre inférieure. Jade n'a donc pas l'intention de me jeter à la poubelle comme une dosette Expresso vidée de sa caféine. J'ai le cerveau dans les brumes, dans les vapes ; mon nez est occupé à inhaler une odeur de pain cuit qui flotte dans chaque recoin du restaurant. Je suis vite ramenée sur Terre ; la jambe de Jade a effleuré la mienne sous la table. Je ressens une faible brûlure d'adrénaline dans le bas du ventre. J'espère qu'on ne me voit pas rougir.

- Je vais te laisser mon numéro, Roxane. Je peux te l'écrire sur la main ? Mes papiers sont au fond de mon sac.

Je lui tends mon avant-bras ; elle attrape doucement mon poignet et s'attelle à sa tâche.

- J'appuie trop fort ?

- Non, pas du tout.

- Je voudrais pas te scarifier avec ma pointe de stylo, surtout.

Elle ne peut réprimer un rire argentin qui vient me réchauffer le cœur de par sa spontanéité.

- Tu as la peau blanche, couleur porcelaine.

- Oui ; même en passant l'été au soleil, impossible de monter d'une teinte. J'ai l'air d'un spectre.

- Mais non !

- D'un esprit, même ; de quoi faire peur.

- T'arrêtes, oui ? réplique-t-elle d'un air réprobateur.

- Hum.

Je pourrais lui confier mon bras une décennie entière pour qu'elle continue son activité graphique, la petite bille à l'extrémité du stylo satisfaisant hautement mon épiderme.

- C'est moi qui te procure des frissons ? blague-t-elle, sans savoir qu'elle frôle la vérité.

- C'est le stylo.

Est-ce le stylo ou la sensation de ses doigts sur ma peau ? Je n'en sais rien, et il est l'heure de repartir en cours. Jade vient me faire la bise, m'enivrant d'un parfum discret et fruité. Je n'ai qu'une envie à cet instant, enfouir mon visage dans son cou. À la place, je la regarde s'éloigner ; elle se retourne une dernière fois, ce qui ne manque pas de me déstabiliser. Je me hâte de tourner les talons, le cœur commençant à battre la chamade.

A193Where stories live. Discover now