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- Oh, le hasard fait qu'on se retrouve. Je peux m'asseoir ?

- Oui, oui.

Je remarque ses ongles vernis alors qu'elle dépose sur la table une canette d'Ice-Tea aux reflets irisés et un sandwich encore empaqueté. Elle décide d'accrocher son sac à main au dossier de sa chaise - tant bien que mal, puisqu'il glisse deux fois avant de se stabiliser - et s'installe. Je suis sous-pression ; que va-t-elle penser de moi ? Je ne suis pas douée pour faire tenir une conversation, et encore moins tout le long d'un repas.

- Tu l'as pris à quoi ? me demande-t-elle en pointant son menton vers mon sandwich.

- Poulet et toi ?

- Jambon.

- On est l'incarnation du végétarisme, dis-donc.

- Arrête ! Je culpabilise déjà assez comme ça.

- Moi aussi.

- Finalement, on se sent incapable de tuer un animal de nos propres mains, mais l'acheter dans un rayon de grande surface pour qu'il finisse dans notre assiette provoque le même résultat.

- Oui. Je crois que l'abattage est indexé sur la demande de la société de consommation ; à savoir, sur notre propre demande.

- Je parie que tu sors tout droit d'une filière économique et sociale, toi ! Je me trompe ?

- Non ! Tu es devin. Et toi, tu étudies dans quel domaine ?

- Les sciences. Excuse-moi ! Je reviens dans une minute.

Elle se lève et part saluer un petit trio qu'elle semble bien connaître. Ça doit être ses amis. Je profite de son escale pour prendre le temps de l'observer. Elle est dôtée de longues jambes et est, de ce fait, plus grande que moi. Son jean - bleu, rien de plus basique - épouse sa corpulence, mettant naturellement en valeur ses formes et sa silhouette. Elle a presque une démarche de mannequin, avec ses bottines noires à talons qui apportent une dose d'élégance et une touche supplémentaire de féminité. Pas besoin d'avoir 10/10 d'acuité visuelle pour la repérer ; il est fort probable qu'elle fasse des ravages auprès des hommes.

Je me surprends en train de me ronger les ongles, entre la frayeur et l'admiration, lorsqu'elle se rapproche de notre table. J'ai le sentiment de m'aventurer dans un gouffre incertain - mais excitant - en sa compagnie ; toutefois, il est impossible de nier qu'elle me met mal à l'aise.

- Me revoilà ! Comment ça s'est passé ce matin ? Tu as trouvé ta salle ?

- Oui, c'est bon, merci ! Tu t'appelles comment, au fait ?

- Jade, et toi ?

- Roxane.

- Oh, c'est mignon.

- Tu trouves ?

- Oui.

Je laisse échapper un petit rire, touchée et gênée ; elle semble s'en amuser.

- Tu connais le campus par cœur ?

- Plus ou moins. J'entame ma troisième année ici. J'espère valider ma licence à la fin du deuxième semestre.

- J'espère que tu réussiras ! Tu as quel âge, du coup ?

- Merci ! J'ai 20 ans, et toi ?

- J'ai 17 ans.

- Oh, tu es encore petite. Je me dois de te protéger dans ce milieu si hostile.

Elle m'adresse un clin d'œil. La fac, hostile ? Ce n'est qu'une excuse.

- Je dois te payer combien pour que tu me fasses office de bouclier, alors ?

- Aller, pour toi, c'est gratuit. Mon rôle commence maintenant.

A193Where stories live. Discover now