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13h16 - Jade est debout, appuyée contre la façade d'un bâtiment, ses fiches de révisions à la main. Elle les lit scrupuleusement, les sourcils froncés de manière presque indiscernable. Je m'approche avec prudence, ne souhaitant pas l'interrompre dans son travail.

- Ah, salut, me lance-t-elle après avoir ignoré ma présence pendant quelques instants.

- Je t'ai déconcentrée ?

- Non, pas du tout, me répond-t-elle, le visage fermé.

- Ça va ?

- Oui et toi ?

L'intonation de ses mots est affligée, glaciale ; elle a croisé les bras, adoptant ainsi une position relativement hostile. Je ne la crois pas.

- Au fait, je t'ai pas dit, reprend-t-elle. Je voulais t'en parler. Je pars ce soir en Angleterre pour trois jours ; tu me verras pas sur le campus demain.

- Oh... Je suis contente pour toi ! Tu vas pouvoir profiter, toi qui aimes bien voyager.

- Oui. Je suis désolée, je dois y aller...

Elle rassemble ses affaires, l'air embêté, et se retire. Je la laisse prendre congé, perplexe. Je ne voudrais pas aggraver la situation. Je ne peux pas m'empêcher de me sentir coupable. Peut-être a-t-elle besoin de temps pour s'éclaircir les idées, régler un problème familial, se retrouver. Je n'en sais rien du tout. J'espère qu'elle va aller mieux et tout m'expliquer.

13h22 - Il est là, assis par terre, un joint entre le pouce et l'index. Il oriente son visage vers le ciel et s'adonne à former consécutivement des petits cercles de fumée. J'avance dans sa direction d'un pas déterminé et n'hésite pas à le surprendre au milieu de son activité.

- De quel droit tu t'es permis de prendre possession de mon corps ?

- Roh, ça va, c'était rien. Je t'ai pas violée, que je sache.

- Est-ce que t'as attendu mon consentement pour plaquer ta langue contre mon palais ?

Il se contente d'expirer sa nuée toxique et de me décortiquer, l'œil avide, tel le prédateur qui surveille sa proie.

- Corentin ! Si tu continues...

- Quoi ? me nargue-t-il. Tu vas faire quoi ?

13h26 - Je ne me sens pas bien. Je dois la joindre ; c'est plus fort que moi.

Roxane : Je sens que quelque chose ne va pas. Tu veux en parler ? Je ne te force à rien, mais ça m'intéresse. J'aime pas te savoir souffrir.

Les cours de l'après-midi se succèdent, âpres et amers, Jade ne sort pas de mon esprit. Même en travaux dirigés, mon cerveau est incapable d'émettre de nouvelles hypothèses, d'assimiler les théories. Mon téléphone ne vibre toujours pas, ce qui a le don de m'obséder encore plus. Je pars guetter la faculté de Jade dès les cours terminés, espérant la voir passer les grandes portes de l'entrée à un moment ou à un autre. Mais rien ; le néant. Je prends donc le chemin du retour. Je la relance :

Roxane : J'ai fait quelque chose de mal ?

J'arrive chez moi, l'air morose. Tout m'irrite, même le plus futile des ennuis, la plus futile des paroles. Je me sentais pousser des ailes. Maintenant, Jade me file entre les doigts. Cette spirale négative m'emprisonne durant toute la soirée. Je m'engueule avec ma mère pour des broutilles, ma sœur entre dans son camp et m'attaque de plus belle, mes chats me renient parce que je ne leur ai pas offert l'intégralité de la boîte de thon. Je n'arrive pas à écrire ma synthèse, ni à feuilleter les articles qu'il faudrait avoir lu et compris pour la semaine prochaine. Je décide de l'appeler à 21h30. Répondeur. J'ai comme envie de pleurer. Pourquoi m'inflige-t-elle ça ? Pourquoi ne me calcule-t-elle plus sans la moindre explication ?

A193Where stories live. Discover now