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— Tu n'es pas à ce que tu fais, Allyn, me sermonne Zacchari. Vide ton esprit, inspire à pleins poumons et expire en trois temps.

Je devine sa soudaine proximité alors j'ouvre les yeux par réflexe pour le dévisager, ce qui lui donne une occasion supplémentaire de me réprimander. Je somnole pendant les vingt dernières minutes de méditation et me dirige en courant à moitié hors de la salle avant que Zacchari ait dans l'idée de me donner des cours supplémentaires sur la salutation au soleil que je ne maîtrise toujours pas. S'il y a bien une chose que je déteste encore plus que les pompes sadiques de Roxie, c'est sortir de cette satanée posture du cobra (ou Bhujangasana pour les intimes).

Puisque j'ai un peu de temps libre avant ma séance avec Roxanne, je décide de me balader dans l'Organisation. À cette heure-ci, la plupart des Singuliers sont absorbés par leurs entraînements divers et les couloirs du premier étage sont tous paisibles. Je m'arrête dans l'angle vitré du couloir afin d'observer les courageux qui s'entraînent dans le sable par ce temps frisquet. Même de loin, je suis capable de deviner leur musculature impressionnante, c'est à se demander s'ils ont l'intention de me transformer également en machine de guerre. Josias n'a pas mis beaucoup de temps pour me convaincre de la nécessité d'un corps athlétique, mais jamais il n'a été question de ressembler à des adeptes du culturisme. Je rigole intérieurement en pensant qu'il me faudrait de toute manière bien des années avant d'en arriver à une telle extrémité, puis je continue mon petit bonhomme de chemin jusqu'à la grande porte en bois ambré que j'ai l'habitude d'éviter.

Ma respiration s'accentue lorsque je pose enfin ma main sur la poignée et que je pénètre à l'intérieur de la vaste salle au haut plafond en arc de voûte. Lors de ma première visite, je n'ai pas pris la peine d'admirer l'étendue de la beauté de cette pièce. À présent que j'en connais toute la dimension mystique, c'est encore plus impressionnant.

Personne ne se préoccupe de ma présence tandis que j'avance à pas prudents le long des étagères de droite. De grandes tables sur ma gauche accueillent de nombreux Singuliers studieux, lorsque d'autres ont préféré rester debout contre un mur ou avachis dans un fauteuil. Tous sont plongés dans le livre qu'ils ont choisi. Aucun murmure, aucun échange avec son voisin. Seuls les bruissements de pages qui tournent viennent troubler le calme olympien de cette étrange bibliothèque.

J'essaye de faire travailler ma mémoire afin de retrouver le rayon dans lequel Josias m'a autrefois fait découvrir les merveilleuses propriétés de cet endroit. Je rôde encore deux bonnes minutes avant de mettre de nouveau la main sur le livre décoré de feuilles de chêne : le livre de Marion. L'émotion est si intense que je sens mes doigts trembler tandis que j'effleure la reliure de l'ouvrage. Ai-je vraiment envie de découvrir d'autres détails sur la vie de cette pauvre femme ? Et si jamais je parvenais à la connaître suffisamment pour la retrouver, Harper accepterait-il de me laisser choisir l'objet de notre première mission ? La curiosité prend le pas sur toutes mes interrogations lorsque j'ouvre enfin l'ouvrage.

« Marion était ravie que ses petits-enfants aient pris le temps de venir la voir dans sa maison de campagne pour leurs vacances scolaires. Bien qu'elle eût préféré que Mégane soit venue seule plutôt que mal accompagnée. Son cadet était en effet d'une telle impolitesse qu'elle avait l'impression d'avoir affaire au nouveau compagnon de sa fille. Le petit frère... qui n'était en fait qu'un demi-frère, il fallait le rappeler. Elle était certaine qu'ils en avaient déjà après la maison, lui et son père. Comme si Marion allait laisser des étrangers de la famille accaparer ses biens...»

Je bascule dans le vide pour la seconde fois. Bien que préparée à ce qui allait se passer, je demeure confuse quelques secondes lorsque mes pieds touchent de nouveau la terre ferme. J'essaye de me rattraper au canapé près duquel je viens d'atterrir, mais c'est sans compter ma nouvelle translucidité. Je vacille donc et m'écrase au sol, aux pieds d'un vieil homme qui somnole dans son fauteuil.

Les Arcanes d'Hemera - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant