14. Adieu, bébé

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MARIE

Après 3 heures de route, me voilà enfin arrivée à Rennes. J'ai tellement hâte de voir mon père que j'en ai les larmes aux yeux.
Ça fait trois ans qu'on ne s'est pas vu. Après la fausse - couche, je me suis renfermée sur moi-même; je ne sortais quasiment plus. Papa m'a proposé de venir vivre chez lui maintes et maintes fois; seulement je ne me voyais pas habiter là-bas. Je ne voulais voir personne, je voulais m'en sortir toute seule.
Au début, je me laissais mourir. Je ne mangeais plus; dormais peu; et passais la plupart de mon temps à pleurer.
Et un matin, j'en ai eu assez.
La suite, vous la connaissez.

C'est pour ça; qu'en voyant mon père, en me blotissant dans ses bras réconfortants; les larmes se mettent à couler toute seule sans que je puisse y faire quelque chose.

- Ma chérie; ne pleure pas; ce n'est rien; me rassure mon père. Est-ce que ça va?
- Oui papa, je finis par dire; je suis juste contente d'être là, de te voir . C'est simplement la fatigue et l'émotion.
- Allons, allons; moi aussi je suis heureux de te voir ; que dirais-tu de boire un chocolat chaud? Si on reste dehors, tu vas finir par congeler; plaisante Papa.

Effectivement, il fait un froid de canard en ce mois de Février. Je suis pourtant bien couverte avec ma doudoune, mais je dois reconnaître que je serais mieux à l'intérieur.
En rentrant dans le café de mes parents; je suis subjugée par la beauté de celui-ci. Il est cosy; avec des poutres apparentes, des tables et chaises en bois ancien; et un écran télévisé accroché sur le mur.
C'est assez calme aujourd'hui, à en juger par le peu de monde qui s'y trouve; mais ça ne me déplaît pas; je vais pouvoir profiter de mon père et ma belle-mère tranquillement.

- Comment vas-tu ma belle? me demande cette dernière. Tu as fais bon voyage?
- Oui merci; et toi? Tout va bien? Papa m'a dit que Tom passait quelques jours chez un ami à lui?
- Oui; il est jeune alors il en profite. Je te sers un chocolat chaud avec de la chantilly?
- Avec plaisir. Bon , ça se passe bien ici? demandé-je à ma belle-mère en dégustant mon chocolat. Hum; il est délicieux.
- Tout vas très bien ma belle. Et toi, ton boulot? Ton père m'a dit que ton patron t'avait accordé une semaine de vacances?
- Oui, apparement je ... Je mets moins de coeur à l'ouvrage quand j'écris mes chroniques, alors je suppose que ça ne peut me faire que du bien. Et puis, ça me fait tellement plaisir de vous voir.
- À nous aussi ma chérie; à nous aussi, confirme Papa.

Sandra et moi sommes plus proches que je ne le suis avec ma propre mère. En effet, depuis qu'elle a divorcé de Papa, celle-ci ne m'a plus donné aucune nouvelle. Je peux dire que Sandra est comme ma mère; et honnêtement, elle est adorable. Je l'aime beaucoup et ils sont très heureux, alors moi aussi.

Après avoir discuté longuement avec mes parents; je décide de monter me reposer un peu. Il est déjà 18h00 et j'ai envie de lire quelques pages.
Et puis; alors que je suis plongée dans mon bouquin; de vieux souvenirs douloureux refont surface...

4 ans auparavant.
- Marie? Marie, vous m'entendez?

Où suis-je? Ce n'est pas ma chambre. Ce lit n'est pas le mien. Merde; que s'est-il passé?
- Ou est Carlos? je demande à la dame qui se tient près de moi. Où suis-je?
- Vous êtes à l'hôpital mademoiselle. Tout vas bien; ne vous inquiètez pas . Est-ce que vous vous souvenez de ce qu'il s'est passé?
- Je... Non, je ne me souviens de rien; je réponds en pleurant. Mon... Mon bébé va bien?

L'infiermière me regarde d'un air compatissant. Comme si elle avait quelque chose de grave à m'annoncer.
- Oh; je suis désolée... Vous ... Vous avez fait une fausse-couche il y a un jour.

Quoi? Comment ça, une fausse-couche? Non! C'est impossible! Mon bébé va bien; je le sais. Il est là, en moi. Et il va bien.
Je m'affole soudainement, tentant de me redresser pour regarder mon ventre.
Il est plat. Comme si je n'étais pas enceinte. Non, je refuses d'y croire!! Pas ça. Pas mon bébé. Tout mais pas ça!

- Arrêtez, je ne vous crois pas! Non! je me mets à hurler.
- Mademoiselle, calmez-vous s'il vous plaît. Tout va bien; vous avez perdu votre bébé hier ; et votre voisine s'est inquiétée lorsqu'elle a frappé chez vous et n'a pas entendu de bruits. Elle a appelé les pompiers qui vous ont retrouvé dans votre baignoire, inconsciente. Je suis navrée pour vous... je vais vous laissez vous reposer; un médecin viendra vous voir dans une heure. Reposez-vous.

Et là, je me souviens. De moi entrant dans la douche; caressant mon ventre arrondi. De la douleur soudaine qui me ronge l'intérieur. Des crampes interminables. Des nausées. Du ... du sang qui se met à couler inlassablement. De la peur. Des prières faites pour que ça n'arrive pas. Je me souviens du sang qui coule, encore et encore. Beaucoup de sang. Beaucoup trop pour une femme. Je me souviens d'avoir supplié mon bébé de s'accrocher. De tenir le coup. De rester en vie. Je me souviens lui avoir dit que tout irait bien, que j'étais là pour lui et que je l'aime déjà très fort.
Je me souviens de la peur affreuse qui s'empare de moi. De ... de tout ce sang qui coule entre mes jambes, anormalement. Je me souviens d'avoir hurlé en voyant tout ce sang tomber, sans que je puisses y faire quelque chose.
Et puis, ce fut la chute. Le trou noir...
Adieu bébé, adieu mon petit ange; je te promets que tout iras bien...

Retour à la réalité. J'ai du m'endormir car, dehors il fait déjà nuit noire . Je sens encore les larmes couler sur mes joues, le désarroi. Je sens encore la tristesse qui est perpétuellement présente.
Et puis; je pense à Max. À son chagrin à lui. À ses questions, à se dire qu'il n'a pas pu me parler ce soir. Je pense à lui; à son deuil, à sa femme perdue; à son handicap.
Je pense à nos conversations journalières, depuis déjà presque un mois. Je pense à sa douce voix; à la façon qu'il a de m'appeler, à nos secrets partagés. À notre douleur commune. Je pense à son sourire, que je peux presque voir à travers le mur. Je pense à notre dernière discussion, au fait qu'on ne soit pas dit au - revoir; qu'on ait pas pu s'expliquer.

Je pense à Max, et je sais ; je sens, qu'il me manque.
Et je sais alors que, ça y'est; je suis fichue...

Mon cher voisinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant