Un sourire triste ruisselait sur une lueur éteinte dans son regard, qui fuyait celui de sa sœur.

- Tu n'as pas à t'excuser Guelai. Tu n'y es pour rien. Père a entamé cette guerre et tu fais de ton mieux. Peu importe ce que les autres peuvent penser de toi, je sais ce que tu fais, moi ! Je sais que tu donnes tout ce que tu peux pour éviter les massacres et veiller sur un maximum de personnes, nobles comme gens du peuple. Tu te soucies de chacun d'entre eux et leur voues une dévotion sans failles ! » Elle reprit son souffle. Pour une fois, elle ne le sermonnait pas, elle lui ouvrait les yeux d'une manière différente, en ouvrant son cœur sans faux-semblant. « Père ne serait pas fier de toi », rit-elle, « il avait beau être un bon père, c'était devenu un piètre Roi, beaucoup trop obsédé à gagner la guerre pour voir les sacrifices qu'il faisait dans ses choix. Le peuple a beau le voir à travers toi pour le moment, viendra le temps où ils te verront... Je te fais confiance pour tout cela Guelai, autrement je me serais imposée contre ton couronnement. N'oublie pas que j'aurais pu être Reine, et toi Prince... »

Il lui sourit à cette mention, l'impression de la trahir grandissant d'avantage à mesure qu'elle lui avait exposé le flot de ses pensées.

Comment la regarder dans les yeux à l'annonce future du sacrifice qu'il avait choisi ?

- Ce n'est pas pour cela que je te demande de me pardonner, mais pour ce qui va suivre. » Et, avant qu'elle ne la questionne autrement que du regard, il enchaîna : « Quelques jours avant la tentative d'assassinat d'Adalrik, le groupe en charge de la ronde autour de la frontière a découvert des fosses remplies de cadavres de civiles. Hommes, femmes, enfants et même nourrissons. Tous jetés à la mêlée à la merci de divers charognards. Et, dans la chaîne de montagnes, Deras a fait planter des piques, au bout desquelles les têtes de nos soldats faits prisonniers cuisaient au soleil. »

Attara grimaça, incapable d'imaginer l'horreur de la scène.

- Et les corps ? »

Guelai hocha la tête, continuant d'une voix tendue.

- J'y viens... le second groupe, venant de la citadelle de Serde... » énoncia-t-il.

Attara ne comprit pas : Serde était au Nord-Est de Tarian, à plusieurs jours de marche et de navigation des fosses et des piques. Comment cela était-il possible, sachant que les gardes de Serde ne quittaient pas les environs de la citadelle, dont ils assuraient la protection ?

Face à l'incompréhension de sa sœur, dont il devinait les questionnements, il continua :

« Nous supposons que les cadavres ont été jetés du haut des falaises entre Haz et Bur. Avec le courant, les corps se sont échoués sur nos rivages, longeant certainement les falaises pour terminer sur les plages de Serde et de Fenou. Ils portaient des marques d'accrocs et certains avaient les membres arrachés, certainement dus par les collisions contre la ligne de rochers. Les villageois de Fenou n'osent plus s'approcher de l'océan, disant qu'il est maudit ... »

Et il les comprenait.

Alors qu'ils étaient allés pêcher, comme à leur habitude, algues et crustacés locaux – les poissons se cachaient dans les profondeurs volcaniques, insaisissables -, ils avaient fait une macabre découverte qu'ils n'étaient pas prêts d'oublier.

- Est-ce pour cela que tu me demandes de te pardonner ? »

Attara, d'une petite voix, avait formulé cette question alors que, dans le même temps, elle comprit que ce n'était pas tout. Il y avait une dernière chose que Guelai ne lui avait pas dite et qui la concernait directement.

Tout d'un coup, elle hésitait à connaître la suite.

- Non, cela, c'est au peuple de le faire. Être pour le moment passif sur le front face à Deras, c'est ma décision. »

Il serra à nouveau le poing, tentant de sourire une dernière fois à sa sœur avant que celle-ci ne le haïsse. Tout ce qu'il parvint à lui faire n'était qu'une sorte de grimace qu'il effaça rapidement de son visage.

« Ce que je voudrais que tu réussisses à me pardonner et ce, peu importe le temps que cela prendra, c'est le sacrifice qui découle de mon choix, autant pour te protéger que pour protéger notre royaume. Sache que quoi que tu puisses penser de moi par la suite, je ... » Il parvînt enfin à lui sourire, reprenant à voix basse : « Tu es la personne la plus chère à mes yeux, Attara. » Il marqua une pause pour se donner du courage. « J'ai proposé ta main au Roi d'Antartsia. »

Ses yeux s'arrondirent et sa voix lui fit d'abord défaut, avant qu'elle ne puisse la modeler, plus étranglée qu'elle ne le voulait :

- Quoi ? »

Elle était étonnamment calme.

Guelai ne s'y trompait pourtant pas, elle était juste sous le choc et, cette étape passée, elle déverserait sa rage sur lui.

La princesse, les larmes lui montant aux yeux, s'éclaircit la voix et tenta de sourire, ravalant la partie d'elle qui était en colère pour se concentrer sur celle qui acceptait de pouvoir enfin effectuer son devoir, envers sa famille et envers son peuple.

« Bien. Ce sera pour moi... un honneur ? de devenir la nouvelle Reine d'Antartsia. »

Guelai fronça des sourcils. Sa sœur semblait tout d'un coup adoucie, se forgeant une nouvelle force dans laquelle puiser, ce qui la vidait, son expression s'étant soudain muée en celle d'une femme de bonne famille.

Il aurait voulu la remercier de si bien comprendre la situation, mais il ne le fit pas.

C'est là qu'elle risquait d'exploser.

- Je ne sais que te dire pour - »

- Alors ne dis rien. » Les yeux perdus dans le vide, elle se leva. « C'est mon devoir, et je dois l'accomplir de la meilleure des manières. »

Le Roi resta pantois alors qu'Attara quittait la pièce.

Cette réplique, il la lui avait déjà servie alors qu'elle-même le remerciait.

Elle effectuait sa part du devoir comme il effectuait le sien.

La porte de la salle à manger se ferma sans bruit et Attara, prise d'un vertige, se rattrapa au mur.

Sa tête tournait.

Ses deux gardes tentèrent de lui venir en aide mais elle les repoussa d'un regard plus noir que jamais.

Repensant à la précédente douceur de Guelai, qu'elle confronta avec ses dernières révélations, elle eût à la fois envie de vomir et d'avoir pitié de lui, ou quelque chose qui y ressemble.

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⏰ Last updated: Aug 11, 2018 ⏰

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Elestreÿa : l'AssembléeWhere stories live. Discover now