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- T'as pensé à ton stock d'eau gamin ? »

Adalrik releva les yeux vers Vardan. Ils chevauchaient depuis la matinée précédente, pourtant c'était là les premiers mots lui étaient adressé. Ils traversaient la forêt de Myrkvior de jour comme de nuit : deux groupes se relayaient, ce qui permettait au convoi d'avancer deux fois plus vites que s'ils ne suivaient les méthodes de voyage communes. Adalrik semblait pour le moment s'en accommoder. Il prenait son deuxième tour, suivi de l'ombre de Vardan, le chef des gardes du convoi.

- Bien sûr.»

Adalrik n'était pas très matinal et la nuit passée à cheval n'arrangeait pas son humeur. Face à son attitude réservée, Vardan se contenta de rire. Il avait vu plus d'un jeune homme adopter cette tête au premier réveil lors de ses voyages.

- Tu t'y habitueras. Le voyage de nuit ne compte pas que d'inconvénients. Tes fesses seront aussi durs que le trône d'Odin dans très peu de temps ! »

- Non merci. Etant donné comment il a fini, je tiens à préserver mes fesses dans leur état actuel. »

Vardan rit deux fois plus forts, donnant une grande accolade dans l'épaule du chevalier, ce qui le fit légèrement basculer en avant. Son cheval releva brusquement la tête, et Adalrik reprit une position normale dans sa selle, regardant Varan le doubler au trot, riant toujours. Il bougea son épaule de manière circulaire : quelle force il pouvait avoir ! Derrière sa carrure maigrelette, Adalrik n'avait pas soupçonné un instant qu'il pouvait se cacher une telle robustesse.

- Je ne savais pas que tu pouvais être drôle, gamin ! » lui confia-t-il en prenant une bouffée d'air entre deux gloussements. « Mais méfie-toi des anciens dieux, certaines histoires racontent qu'ils n'ont pas tous chuté lors du Ragnarök, et qu'ils hantent toujours la Plaine de Vigrid. » L'homme s'était assombri et avait laissé Adalrik le rejoindre.

- C'est bien pour ça que ce ne sont que certaines histoires. » répliqua ce dernier, bien décidé à ne pas s'en laisser conter une de plus.

- Qu'importe. La Plaine de Vigrid n'est de toute façon pas sur les Terres Connues. »

Il ponctua d'un clin d'oeil. Adalrik préféra ne rien ajouter, le feu était encore crépitant, et il ne voulait pas le voir grandir d'avantage. Outre qu'un chef ou d'un garde, il voyait dès lors ce compagnon de passage comme un conteur avide de vous ensorceler par les mots. Être sur les routes et suivre les marchandes à longueur de temps devait l'enrichir un peu plus chaque voyage de mythes et de légendes racontés ici et là au travers des royaumes. Peut-être ce soir se laisserait-il tenter par quelque histoire. Si le convoi avançait de bons pas, il devrait pouvoir rejoindre Rispu avant que le soleil ne disparaisse derrière les arbres morts ; et quoi de mieux pour terminer cette journée qu'un conte autour d'une bonne bière ?

Il avait réussi à les semer deux jours auparavant, mais il ne s'était pour autant pas reposé. Le soleil passait parfois entre les branches des arbres, éclairant la robe d'or du félin. Dans les montagnes, il avançait à son aide, rapide, souple. Les Hommes n'avaient eu aucune chance de l'attraper dès lors qu'il avait pu gravier le premier mont. Tâchant de se ménager, l'animal marchait, certes de bon pas, mais il se contentait de cette cadence. Plus rien ne cherchait à le poursuivre, il n'y avait plus de raison de fuir à toute allure. Éloigné de la route principale d'où les voix des Hommes s'étaient perdus deux jours plus tôt, le félin la suivait par les sentiers que les petites bêtes habitant ces contrées avaient façonné à force de passage. Parfois sa carrure ne lui permettait pas d'emprunter le même chemin, alors il faisait un léger détour et retrouvait le sentier quelques pas plus loin. Il hésite un court instant à aller chasser, mais, trop pressé d'atteindre son but et de pouvoir s'y reposer, il préféra continuer d'avancer.

Plus tard dans la journée, il s'arrêta pour laper un mince filet d'eau qui dégringolait d'un rocher au dessus de sa tête, en une sorte de cascade miniature. Celle-ci venait se perdre sur de larges racines où il plantait ses griffes pour se maintenir sur ses pattes arrières. Le soleil venait baigner l'endroit de lumière. Dans l'ombre de la roche, le félin vit étinceler une petite chose : il l'écoute attentivement, lapant une dernière fois la coulée d'eau. Il ferma les yeux et hocha de la tête, redescendant sur ses quatre pattes. Il n'avait vu ni nains, ni alfes clairs, aussi avait-il cru jusqu'à présent que toute source magique avait disparu des terres habitées par les Hommes. Il en avait ici la preuve du contraire, et cela le satisfaisait. Sautant de racine en racine, il ne se retourna pas et continua son chemin. Ce dernier le mena finalement dans un marécage. Le sentier qu'il empruntait venait se perdre dans le sol humide et enfoncé de l'endroit. Émettant un grondement sourd et retenu, il fouetta de la queue : quelque chose dans cet endroit le mettait mal à l'aise. Mais il fallait y entrer : certainement que le contourner serait bien plus long, et lui ferait emprunter des routes bien plus fréquentées. Au loin, de nouvelles montagnes s'élevaient. Nidavellir ne devait plus être très loin, une fois ces dernières passées.

Les lourdes pattes du félin s'enfonçaient dans le marécage jusqu'à sa poitrine, ce qui ralentissait considérablement son avancée. S'il avait pu jurer, il l'aurait fait ! En bon prédateur de sa taille, aucune autre bête carnivore ne semblait vouloir s'approcher, bien qu'il entendait et sentait autour de lui une meute de canidés un peu trop curieuse et dans l'attente qu'il ne reste coincé dans la vase. La chair fraîche qu'il représentait était bien trop dangereuse cependant, jamais ils n'oseraient tenter quelque attaque que ce soit. De sa voix grave et portant, il les prévînt tout de même de rester à distance.

Le félin continua d'avancer dans la nuit, jusqu'à réussir à l'aube à rejoindre les montagnes qu'il guettait dans l'horizon. Ces dernières étaient lus abruptes, plus dangereuses, plus difficiles à franchir que toutes celles qu'il avait croisées jusqu'à présent. En contre-bas, la route sillonait entre les roches qui descendaient à pique. S'il tombait, il mourrait. Nombreuses étaient les carcasses de chèvres des montagnes, loups, et même Hommes qui jonchaient çà et là les crevasses qui s'étaient formées avec le temps. Plus il avançait, plus le félin ressentait cette impression de gravir un cimetière. Certains cadavres étaient encore recouverts de chairs, dont les charognards s'obstinaient à ronger les os. Plissant des yeux, il discerna plus haut des têtes empalées sur des piques desquelles flottaient des rubans violets et rouges. C'était un avertissement. Il en avait été déposé plus loin, et encore un peu plus loin. L'animal ne pût s'empêcher de se questionner, même si ce n'était pas ses affaires. A qui appartenaient ces têtes, et pourquoi les avoir disposées en pleine montagne, dans un lieu si escarpé et mortel ? Qu'importe. Ses muscles le brûlaient et il lui tardait de déboucher dans un lieu plus plat avec une végétation plus garnie. La chaîne de montagne sur laquelle il se trouvait était poussiéreuse et morbide. Ternissant son pelage, la poussière de roche brune se décollait - pareille à de fins, très fins grains de sable -, à chaque fois que ses pattes se soulevaient et ses griffes libéraient la surface dans laquelle elles se plantaient. L'on aurait pu le prendre pour n'importe quel gros chat qui se serait roulé dans la boue puis la poussière, et qui sentirait l'eau pourrie à plein nez.

*Okolnir : "le lieu qui ne refroidit jamais" dans la mythologie nordique

** Hlidskjalf : nom de la plus haute tour du palais royal de Deras. Dans la mythologie nordique, c'est le nom donné au trône d'Odin, duquel il peut observer les neuf mondes


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