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Adalrik n'avait pas eu à seller son cheval, déjà prêt quand il avait pénétré les écuries. Son entrevue avec le Roi de Tarian l'avait quelque peu remué : il n'avait son titre de chevalier que depuis peu, et on lui confiait une mission avec autant d'importance ... Le Roi croyait en ses valeurs, c'est tout ce qu'il avait mentionné concernant son choix. Le chevalier ne devait pas échouer, et puis, ce n'était pas si compliqué que ça si on oubliait les possibles rencontres avec les soldats de Deras, desquels il devait passer sur le territoire, mais aussi voleurs, pilleurs, malfrats en tout genre ... n'est-ce pas ?

La criminalité était en hausse ces dernières années, se nourrissant du malheur des habitants, et de la période trouble dans laquelle les jeunes gens évoluaient et fondaient leurs principaux points de repère. De nombreux groupes aux activités plus que douteuses s'étaient ainsi formés, et la responsabilité de tout ceci était léguée aux petits seigneurs provinciaux. Ainsi son père avait requis son aide, et Adalrik s'était illustré dans le démantèlement de trois groupes qui sévissaient autour des remparts de Serde, la citadelle dont il était originaire. Plus tard, il en serait le Seigneur. La forêt morte qui l'entourait n'avait connu plus de tranquillité ces dernières années. Peut-être cela était-il revenu dans les oreilles du Roi, et l'aurait poussé dans son choix de messager ? Messager du Roi. Ce n'était pas la carrière qu'il s'était vu faire, mais cela restait un honneur, et il ne décevrait pas son Roi.

Le chevalier, poussé dans un moment de réflexion à propos de son voyage, décida d'ôter son armure. Le métal chantait alors qu'il défaisait les pièces une à une, les posant dans la paille propre. Une fois débarrassé, il tira une lanière d'un sac accroché sur les côtés de sa selle, et entreprit de nouer son armure pour éviter qu'une pièce se perde à droite –à gauche. Il déplia ensuite un linge, déposa le tout, et le referma. Le chevalier se sentait soudain comme mis à nu, dépecé. Mais aussi bien moins encombré, plus libre de ses mouvements. Un peu plus proche du premier homme, Ask, sans doute.

Son regard se posa alors sur un garçon d'écurie, qu'il devinait avoir une dizaine d'années à vue d'œil. Le garçon, les cheveux aussi blonds que la paille qui jonchait l'endroit, s'approcha timidement, un cheval aux lourds chargements derrière lui : on aurait pu croire qu'il portait une montagne sur son dos, pourtant, il ne vacillait pas.

- V'là votre s'cond, Monseigneur. »

Sa petite voix trahissait la lassitude de son regard morne. Voilà la jeunesse d'aujourd'hui : morte, et qui ne croit plus en rien. Une décennie en arrière pourtant, croiser un chevalier aurait été source d'émerveillement. Quelques semaines et les bouches déjà affamées ne savaient plus comment sourire.

Adalrik ne put répondre de suite, ne sachant pas comment réagir face à tant de vide.

- Merci mon petit mais je m'en passerai. » Ébouriffant les cheveux du garçon qui ne broncha pas, il fouilla rapidement les sacs ficelés au cheval. Il en sortit du pain rassis, quelques tranches de lard et de la confiture, qui datait certainement de l'avant-guerre. Le garçon d'écurie parût alors intéressé, s'obligeant à regarder ailleurs pour éviter toute punition. Son ventre était plat, légèrement creux, et Adalrik soupçonnait que ses côtes ressortaient sous son tee-shirt. « Voici pour toi, tu en auras sûrement plus l'utilité que ce cheval. » Adalrik lui tendait le tout, lui souriant pour le rassurer. « Ce n'est pas un piège, prends. »

Le garçon hésita d'abord, et il tendit la main, attrapa le tout et contempla ce qui venait de lui être offert. Adalrik sourit : le regard vide qu'il avait pu voir s'était transformé. Certes, ce n'était pas grand chose, mais s'il suffisait d'une graine pour faire pousser un arbre, une miette de pain était déjà le début d'un grand changement.

Elestreÿa : l'AssembléeWhere stories live. Discover now