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Un convoi de marchands passa justement à côté de lui, certains hommes étaient à cheval, le surveillant en le dépassant, d'autres dans une carriole tirée par un bœuf. Le puissant animal agita ses cornes, ce qui obligea Adalrik à se pousser. Le convoi commençait à s'éloigner alors qu'il mettait son cheval au petit galop pour les rattraper.

- Halte là ! » fit un des hommes à cheval, en le bloquant du reste de son groupe, méfiant. Le convoi s'était stoppé. L'homme n'était vêtu que d'une simple côte de mailles sur le torse, pourtant, Adalrik reconnut en lui le chef des gardes du convoi.

- Bonjour à vous ! J'ai cru voir qu'il vous manquait un homme à l'arrière. Je me rends à Deras, dans ma famille, et je sais manier l'épée. Le voyage est bien long quand on est seul. Me permettez-vous - »

L'homme, dubitatif, sortit son épée pour la tenir en direction du chevalier, calme et sûr de lui :

- Qui me dit que tu n'es pas de ces brigands ? Peut-être est-ce une de leurs nouvelles ruses ? »La tension était palpable dans ses mots alors que la lame menaçait toujours. Elle n'était pas très droite, ne semblait pas non plus très aiguisée, mais l'habileté de l'homme compensait certainement ces défauts. Ce dernier fermait à demi ses yeux gris, comme s'il réfléchissait à ces nouvelles ruses dont il avait fait mention. C'était son travail, protéger ce convoi, et tenter de prévenir à l'avance les attaques en faisait parti. Adalrik ne détourna pas les yeux du quadragénaire, toujours sceptique : « Nous avons justement subi une attaque la nuit dernière, qui aura coûté la vie d'un homme. »

- Placez-moi sur le côté, sous surveillance. » proposa le chevalier, montrant sa compréhension à l'égard des doutes que pouvait avoir l'homme. « Je ne voulais pas vous vexer en prenant la place d'un ami mort au combat. », s'excusa-t-il.

- Hmph. » ravala l'autre. Il s'enquit de l'opinion de ses compagnons, qui lui renvoyèrent un signe de tête. « Tu seras à l'avant, à mes côtés. Un seul faux pas et mon épée te transperce la poitrine, gamin. »

Voilà longtemps qu'on ne l'avait pas appelé de la sorte. Malgré ses vingt-trois ans révolus, c'était à croire que son visage trahissait sa sortie de l'adolescence.

- Mon nom est Adalrik. » fit-il d'un signe de tête.

- Tant mieux pour toi. »

Le chef fit faire volte-face à son cheval, qui pivota d'un geste de rêne sur ses postérieurs. La réponse jeta un froid et le chevalier se contenta de le suivre.

- Movrick, à l'arrière ! »

Quarante-quatre ans. C'était le nombre d'années qu'il avait pour le moment passé à gouverner, à s'enrichir, et à profiter de la gente féminine quand sa femme s'absentait. Ce n'était pas comme si elle n'était pas au courant, mais elle savait qu'elle avait plutôt intérêt à se taire. Diok de Derneas était aujourd'hui âgé de soixante-deux ans, et il voyait d'un mauvais œil les récentes visites de son jeune bâtard : tout était source d'angoisse et de paranoïa, mais cette fois-ci, c'était différent. Oui, cette fois-ci, il en était sûr, il se tramait quelque chose ! Peut-être voulait-il l'affaiblir et le tuer ? Peut-être cela avait-il rapport avec son état de santé qui s'était récemment dégradé ? Peut-être que lui aussi, il allait devoir finir au cachot ? Deux de ses fils y étaient déjà. Ce bâtard-ci était le seul parmi ses enfants illégitimes qui avait eu droit à une éducation au sein du palais. Aujourd'hui, Diok se demandait quelle bêtise il avait bien pu faire en faisant cela, d'autant plus si ce fils en voulait après la couronne ! Qu'il remercie la beauté et l'ivresse que sa mère dégageait sur le Roi. Diok avait fini par la jeter au cachot, prenant le bébé des bras de sa mère pour la punir de l'attention qu'elle lui portait. Le vieil homme serra le poing : par les dix dragons créateurs, elle l'avait trahi pour un autre ! Un autre issu de leur union ! Toujours épris de jalousie sur ce fils illégitime, il ne lui en avait que plus voulu lorsque sa mère était morte. L'ivresse des premiers jours passés avec elle s'était muée en colère, colère qu'il avait su nourrir toutes ces années et s'était accentuée à la mort d'Astrid. Se remémorer ce nom restait douloureux, aussi, il avait été interdit dans tout le royaume, et les jeunes filles qui l'avaient porté s'en étaient vues dépouillées et attribuées un nouveau. C'était bien mieux ainsi. Et aujourd'hui encore, Arzhvael venait visiter le Roi sur son trône. Il avait conscience de l'amour que son père avait pu porter à sa mère, et, même si l'histoire comme elle s'était déroulée lui faisait mal, il ne lui en voulait que peu. Il ne le lui dirait jamais, n'en parlait jamais, mais le Roi était fou de bien des aspects. Sa personnalité n'était faite que de défauts, mais voilà : c'était son père, et il devait faire avec ce qu'on lui avait donné. Il devait le remercier de l'avoir sorti de cette vie de misère qui l'attendait s'il restait avec sa mère, lui, le prince-ours, l'enfant maudit. Pendant un temps, il aurait aimé détester sa mère et rejeter la faute sur elle, elle et ses origines. Il n'avait pas pu.

- Que veux-tu, fils ? » maugréa Diok, qui mâchait un raisin. Crachant les pépins dans une coupelle que lui tendait un domestique, son bras maigrichon s'étendit, ses doigts agrippant une nouvelle grappe.

- Rien. La vie au palais est ennuyeuse ces derniers temps. » répondit-il pour excuser sa présence dans la grande salle.

Diok l'ignora,comme toujours, cette fois-ci trop occupé à relever la tête vers l'immense porte principale, face à lui. Elle s'était entre-ouverte et, sur le tapis bleu nuit qui s'étendait de cette dernière jusqu'à la tapisserie aux pieds du Roi, un messager courrait, haletant, essayant tant bien que mal de repositionner correctement et sa cape et son couvre-chef.

Arzhvael se poussa sur son passage, se plaçant en retrait, les mains derrière le dos. Le messager, devant le Roi s'accroupit, reprenant son souffle. Diok, impatient, se leva comme ses forces le lui permettaient.

- Parle-donc,imbécile ! »

Le messager se releva, jetant un œil furtif sur son Roi, duquel il évita le regard, pensant certainement se protéger ainsi de sa colère.

- Un. Chevalier. Tarian. Le Roi Guelai - », entre deux souffles. Seulement, le regard furieux du Roi ne fit qu'un tour en son sang, et il lâcha précipitamment : « Le Roi de Tarian a envoyé un chevalier requérir l'aide d'Antartsia. » avant d'ajouter après avoir pris une inspiration : « Il y a quatre jours. »

Diok se laissa retomber sur le trône, frappant un coup sec le point sur ce dernier.Le messager tressaillit. La mâchoire du Roi se crispa. Soudain, il sembla se rappeler de quelque chose de gênant dans la salle. Ses yeux brillèrent avant de reprendre cette couleur de furie. Instinctivement, sa tête se renversa sur son bâtard :

- Toi ! Tu n'as rien vu, rien entendu ! »


Elestreÿa : l'AssembléeWhere stories live. Discover now