Première magie : Nuits blanches et noirs esprits.

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« Ce n'est pas la chair qui est le réel, c'est l'âme. La chair est cendre, l'âme est flamme. »

Victor Hugo

Je me réveillai en sursaut lorsqu'un esprit m'effleura le bras...

Un cri mourut dans ma gorge. La chair de poule me gagna. Dénuée de mon sang-froid légendaire, je me serai sûrement mise à fuir le plus loin possible de l'endroit où je me trouvais.

Disparais ! Ne t'avise jamais de revenir ici ! tonnai-je d'une voix pourtant glacée.

L'onde de magie qui accompagna mes paroles sembla démultiplier ces dernières. Les échos de mon ordre rebondirent dans le lieu en saturant de pouvoir chaque recoin de la pièce. L'effet fut effet immédiat : l'ombre sinistre s'évapora en laissant dans son sillage des volutes enténébrées.

Tout autour de moi, étincelant dans la pénombre de la chambre, l'air s'était mis à scintiller. Depuis quelques longues secondes probablement, un enchantement de feu parcourait mon corps et léchait ma peau de porcelaine, non sans une certaine douleur. Après un claquement de doigts, le sort s'évanouit dans un léger crissement distinctif.

En général, on se réveillait dans son lit. En général, quand on faisait un cauchemar, il suffisait d'allumer la lumière, de se persuader que tout allait bien, on buvait un peu d'eau et on pouvait se recoucher paisiblement.

Que ne donnerais-je pas pour le simple plaisir de m'allonger dans des draps frais... Qu'il serait doux de pouvoir m'abandonner au sommeil en attendant que ce dernier vienne me border de rêves psychédéliques, reléguant au second plan mes tourments, avec la certitude que la nuit m'apporterait une sérénité et une certaine insouciance quant à la prochaine journée à affronter... Seulement, je ne dormais pas.

C'était une chose impossible pour moi, non pas à cause d'une maladie chronique ou de je ne sais quelle phobie farfelue que la science moderne venait de révéler, mais parce que si jamais, par la Déesse, cela devait m'arriver, si je m'abandonnais au sommeil rien que pour quelques heures, ou même quelques minutes... Les conséquences demeureraient désastreuses. Aucun retour en arrière ne serait plus possible après cela. Parfois, dans les mauvais jours, je me disais que pour que tout s'arrête, il me restait une action pour le moins très ordinaire à tout un chacun : m'allonger sur un lit et me laisser glisser dans les bras de Morphée.

Je l'ai échappée belle... songeai-je dans un soupir, en mettant de côté l'effroyable pensée qui venait de me traverser.

Sur le qui-vive, je tentai de déterminer l'heure qu'il était. Nous étions sans doute au cœur de la nuit, je le devinais rien qu'à la pesanteur moite qui m'accablait lors de ces moments-là. Même si les esprits ne se situaient plus dans la pièce, je ressentais leur présence dehors... Et durant la nuit, rien n'était plus désagréable que de percevoir leurs émanations funestes et délétères tournoyer dans les rues de la ville à la recherche d'une pauvre âme à tourmenter, la mienne la plupart du temps. Cette pensée, bien plus ironique qu'elle ne le semblait, m'arracha un sourire.

Je me relevai d'un bond, ne désirant pas flancher une nouvelle fois.

— Je ne me laisserai pas faire... répétai-je tel un mantra.

En face de moi, trois bougies disposées sur une commode à tiroir s'étaient éteintes. Même constat pour celles, derrière moi, posées au-dessus d'une étagère en acier noir où je rangeais soigneusement mes ouvrages traitant de magie. Les chandelles colorées, dont les flammes avaient été soufflées par l'apparition de l'esprit, ne dispensaient plus dans la pièce que cette odeur particulière de cire fumante ainsi que des arabesques de fumées blanches et bleuâtres.

Aurore Callahan  T.1 [Sous contrat d'édition - Editions Bookmark]Where stories live. Discover now