Prologue

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Un Corbeau devant moi croasse,
Une ombre offusque mes regards, 
Deux belettes et deux renards 
Traversent l'endroit où je passe :
Les pieds faillent à mon cheval,
Mon laquais tombe du haut mal,
J'entends craqueter le tonnerre, 
Un esprit se présente à moi,
J'ois Charon qui m'appelle à soi, 
Je vois le centre de la terre
.

  Ce ruisseau remonte en sa source, 
Un bœuf gravit sur un clocher, 
Le sang coule de ce rocher, 
Un aspic s'accouple d'une ourse, 
Sur le haut d'une vieille tour 
Un serpent déchire un vautour, 
Le feu brûle dedans la glace, 
Le Soleil est devenu noir, 
Je vois la Lune qui va choir, 
Cet arbre est sorti de sa place.

~ Théophile de Viau, 1621 ~ 


Les ténèbres immuables, partout, sans restriction...

Je cours pour m'enfuir, même si dans ce brouillard où tout semble difforme et incertain, je ne sais pas très bien où je vais, ni comment j'en suis arrivée là.

Une terreur sans nom se diffuse à l'intérieur de mes veines, pourtant, je sais qu'un tel sentiment d'horreur ne peut pas être réel. Cette sensation s'écoule dans chacune des fibres de mon corps tel un venin brûlant qui fait battre anormalement mon cœur. Je sens presque qu'il s'arrache de ma poitrine. Ce poison atteint mes poumons, mes bronches sifflent puis commencent à se faire douloureuses.

Mais je ne céderai pas.

Je suis plus forte que ça !

Enfin, je l'espère...

Dans ma course effrénée, j'entends ses pas se rapprocher et discerne son souffle également. Quand quelque chose frôle mon dos, un hurlement franchit malgré moi la barrière de mes lèvres. Se trouve-t-il si proche que cela ? Je ne peux pas me permettre de détourner mon regard de ce chemin de terre et de pierres escarpé si je ne veux pas perdre mon avance. Les larmes me montent aux yeux sans que je m'en rende compte. Que fera-t-il quand il m'aura attrapée ? Me ramènera-t-il dans ce lieu maudit ? Cet enfer où m'attendent mille tourments, en plus de ceux déjà subis.

Quand le désespoir me gagne presque entièrement, je songe à ce qu'il se passerait si je cessais de fuir... Des perles salées s'échouent sur mes joues. Pourquoi ces sentiments qui me sont habituellement étrangers choisissent spécifiquement ce moment pour me submerger ? Telle une vague charriant des émotions toxiques contre un cœur endormi depuis bien longtemps. Je me noie dans ce typhon de peur et d'horreur, tout en priant pour que me revienne cette léthargie sentimentale, celle qui me permet de raisonner avec sagacité.

C'est à cet instant qu'une douleur traverse mon auriculaire. Sans cesser de courir dans cette brume opaque et sinistre, je tends la main devant moi afin de mieux l'observer. La marque complexe qui serpente sur tout mon doigt, fruit d'un sceau renfermant un sort, a pris des teintes très vives. Le rouge cinabre se mêle au bleu de minuit contrastant violemment dans ce monde aux couleurs mornes. A la vision de ces arabesques qui semblent se mouvoir avec une volonté qui leur est propre, je redouble d'efforts sur les muscles de mes jambes pour tenter d'aller plus vite.

Ma magie bouillonne, elle veut se défendre, me protéger, éradiquer celui qui représente une menace ! Mais je la contiens en moi tant bien que mal et dois me faire violence afin de ne pas la laisser s'échapper. Il est trop tard pour utiliser ma puissance, ces horribles arabesques bloquent ma magie quand il est proche. Et les couleurs luisent de plus en plus...

C'est mauvais signe !

Au loin, au bout de ce chemin tortueux, je discerne une légère lueur. Cette lumière inattendue projette sur le sol les silhouettes funestes de grands arbres aux branchages dénués de vie qui bordent ce sentier. Ce dernier semble se resserrer, et les branches énigmatiques se rejoignent pour former une sorte d'échappatoire. A bout de souffle et bientôt d'énergie, cette clarté est tout ce qu'il me reste.

Aurore Callahan  T.1 [Sous contrat d'édition - Editions Bookmark]Where stories live. Discover now