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En réalité, la vérité est parfois difficile à entendre. Car la vérité est qu'il était déjà mort depuis longtemps.

Il était mort lorsqu'il n'avait pas respecté sa promesse, ne poussant pas son cri de vie à l'adresse de la louve. Il avait à cet instant, échangé son âme qui porte sa parole et dit la vérité contre celle d'un mouton qui se cache et se tait.

Il était mort quand effectivement il renonça à être un loup, lorsqu'il mit de côté ce qu'il était pour glisser dans la peau d'un autre et rejoindre le troupeau. Il avait à cet instant, échangé sa vie contre celle d'un mouton.

Il était mort à chaque fois qu'il refusait ses sens, n'observant, n'écoutant, ne sentant, ne goûtant, ne touchant plus, perdant son instinct, mettant loin de lui sa perception et l'appel de la forêt. Il avait échangé l'effort de la chasse contre la facilité de l'herbage.

Avant que le soleil ne sorte de l'horizon, il ouvrit les paupières sur une pâle lueur d'aube et se rendit compte qu'il était sévèrement blessé. Comble de l'ironie, la laine l'avait sauvé des crocs qui voulaient le dévorer. Il était dans un sale état, laissé pour mort, mais était encore en vie.

Il traîna sa carcasse jusqu'à la rivière pour s'y tremper, se nettoyer de ses plaies. Le sang coula, emporté par le courant, et des peluches de laine flottaient à surface.

Lavé, il se regarda. Il vit son visage, ne le reconnut pas, sut pourtant que c'est ainsi qu'il avait toujours été. Il avait tellement changé. Comment pouvait-il avoir tant changé ?

Il était en vie, son corps meurtri, son âme blessée, et il ne savait toujours pas dans quelle direction aller. À qui demander conseil ? Qui écouter ?

Il repensa à la louve, cette louve qui aurait très bien pu être un mouton, un mouton un peu plus noir que les autres, un mouton différent à qui il manquait une patte, un nuage sombre à qui il avait donné la plus belle des formes, une louve qu'il n'avait fait que rêver...

« Le jour où il te faudra choisir, n'écoute que ce que ton cœur te dit ! »

— Mon cœur... oui... il bat, il chante, je le sens, mais il s'affole, il est terrifié ; comment le calmer ? comment retrouver la paix ? Il bondit au moindre mouvement d'ombre, il tressaille à bruit, il ne sent rien venir. Qu'aurait-il à me dire ?

Et comment aurait-il pu, à cet instant, faire confiance au regard qui se reflétait à la surface de l'eau ? Ce regard qui ne reconnaissait pas, ce regard qui était pourtant le sien.

Entre la forêt et le troupeau ; au bord de la rivière ; il n'avait qu'un pas à faire, rien qu'un pas... Il tremblait, sentait des impulsions lui parcourir le corps, mais ses pattes qui n'avaient fait que suivre la foule depuis tant d'années, ses pattes qui se remettaient sur le bon chemin selon les aboiements des chiens, ses pattes qui ne savaient ni comment ni où aller refusaient de bouger, paralysées. Pourtant il fallait qu'il bouge, s'il ne bougeait pas, s'il refusait cet élan, ce serait sa dernière mort.

— Quoi que fasse, je mourrai, pensa-t-il désespéré.

Le mouvement est la vie, et le voilà amorphe, incapable de bouger.

Le mouton qui rêvait d'être un loup [Fable]Where stories live. Discover now