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Avec les révoltés survivants, le louveteau entra dans un autre monde où s'éparpillaient ici et là quelques arbres et rochers, pas assez pour en faire une forêt, pas assez pour vraiment se cacher.

Le domaine comptait nombre de clairières, mais celle-ci était si vaste qu'aucun arbre ne se trouvait à l'horizon ; c'était un monde étrange pour le louveteau, un monde ne correspondait en rien à ce qui pourrait devenir un domaine pour les loups. Son regard se perdait au loin ; il se sentait perdu ici.

Le louveteau revint à lui quand les révoltés lui indiquèrent un amas de bêtes qui ressemblaient à des nuages blancs, et qui broutaient de l'herbe dans un champ limité par des barrières.

Ces bêtes-là, il en avait déjà aperçu, rapporté par la chasse. On lui apprit que ces bêtes-là ne connaissaient pas le goût du sang auquel il avait été habitué dès sa naissance. Ces bêtes-là se déplaçaient toujours en grand nombre, ils ne s'éloignaient jamais du troupeau, pas comme une meute, comme un tas. Ces bêtes-là ne grognaient jamais. Elles ressemblaient à des nuages blancs qui frôlent la terre.

On lui dit alors qu'il fallait attendre la tombée de la nuit avant de se glisser dans le troupeau. Chaque loup devait choisir un mouton, l'égorger, puis se rendre à la rivière.

Le louveteau n'avait pas encore rejoint la chasse. Les grands loups s'étaient toujours occupés de lui, le guidaient dans les exercices. Pourtant, quand le moment fut venu, il n'hésita pas. Il tua rapidement le mouton, puis traîna sa carcasse jusqu'à la rivière.

Le louveteau ne comprit pas ce qu'il vit à cet instant. Aucun des révoltés n'était pas en train de dévorer la chair, de reprendre des forces pour atteindre l'autre bout de l'horizon où il découvrirait peut-être une nouvelle forêt. Non, chacun des loups dépeçait méticuleusement son mouton. Ils lui expliquèrent :

— Regarde et fais comme nous, Louveteau. Camoufle ton corps sous cette laine blanche et après, intègre ce troupeau que tu vois là-bas. Tu y seras en sécurité.

C'était leur plan, infaillible, jamais les autres loups ne penseraient qu'ils aient pu se transformer en nuages blancs ! Observant les loups en train de se revêtir de laine, le louveteau ne put s'empêcher de contester :

— Impossible ! Les autres moutons vont s'apercevoir de la supercherie.

Les grands loups lui répondirent :

— Il s'agit d'un jeu, Petit, comme si, et si tu assez doué, tu réussiras à tous les tromper !

Ils ajoutèrent :

— Oublie dès à présent la meute, oublie le goût du sang, oublie ton instinct, oublie la forêt, oublie la Lune et nos hurlements. Désormais tu es un mouton ! Ne t'avise pas de mettre une patte dans la forêt, ce n'est plus notre domaine ! 

Comprenant alors qu'il ne reverrait plus jamais la louve, le louveteau eut envie de hurler. Et tandis que les révoltés finissaient de se métamorphoser, il comprit aussi ce à quoi il devait renoncer, tout ce qu'il allait devoir mettre de côté. C'était le prix à payer pour rester en vie. C'est ce qu'on lui dit, c'est ce qu'il crut.

Tous les exilés étaient devenus des nuages blancs. Le louveteau les vit rejoindre le troupeau dans la nuit, se fondre parmi les moutons endormis sans qu'aucun ne réagisse. Oui, cela fonctionna. Il le fit aussi : il cacha sa fourrure noire sous la laine blanche, et lorsqu'il ferma le manteau, il disparut dedans.

Le mouton qui rêvait d'être un loup [Fable]Where stories live. Discover now