Le mouton qui rêvait d'être un loup [Fable]

16.

Désemparé, le mouton retourna dans l'enclos et réveilla les anciens du troupeau, leur dit ce qu'il venait de découvrir. Les moutons rirent, se moquèrent de lui, ce n'était pas la première fois qu'il racontait ce genre d'histoire.

Il leur bêla :

— Je sais que vous êtes des loups ! Comme moi ! Soulevez cette peau que je vous vois.

Les moutons rirent de plus belle et bêlèrent d'une même voix :

— Nous sommes des moutons, comme toi, tu as toujours été, un mouton avec trop d'imagination ! 

— C'est faux ! rétorqua le mouton. Ce n'est pas possible... Je... je ne sais plus qui je suis, qui je veux être, qui je peux être... Regardez la forêt, là-bas. L'entendez-vous ?

— Nous n'entendons rien, assurèrent les moutons.

Ils souriaient. Pourquoi souriaient-ils ? Leurs sourires bien plus que leurs paroles pourfendirent le cœur du mouton. Des larmes commencèrent à perler au coin de ses yeux.

— Si, elle m'appelle, elle nous appelle ! Vous l'entendez ! Je veux y retourner ! 

— Cesse tes enfantillages, sommèrent les anciens du troupeau. Tu es grand maintenant, ça n'a plus rien de drôle ! Un mouton ? partir seul dans la forêt, tu veux mourir ? Toujours à demander pourquoi, demander comment. Toujours à questionner les étoiles. Toujours à regarder ces arbres. Toujours à se rapprocher des barrières. Toujours à se plaindre et geindre. Jamais à écouter les chiens, les seuls gardes contre les menaces du monde. Alors c'est ça, tu veux mourir ?

— Non, bêla-t-il en tremblant. Je veux vivre... mais je ne sais plus... je ne sais plus ce qu'est la vie... ma vie...

Les moutons se détournèrent et ne l'écoutèrent plus, murmurant entre eux, médisant ce mouton noir en coton blanc qui se prenait pour un loup. Il fut laissé seul, comme toujours, comme jamais.

Seul... Il se rapprocha de la porte de l'enclos à nouveau fermé. Il regarda le ciel et ses étoiles.

— Étoiles, belles étoiles, ai-je rêvé ?

Aucune lumière ne lui répondit. Pourtant, une étincelle au fond de lui disait qu'il n'était pas seulement un nuage blanc qui rase la terre, à qui l'on peut donner forme ; il était un loup, libre, qui parcourt son domaine.

Un loup, mais solitaire, sans meute, sans corps pour en être la tête. Pourrait-il vivre ainsi ?

S'il était un nuage, ne devait-il pas partir à la recherche de son ciel ?

Être un loup ou un mouton ?

Être un autre ou lui-même ?

Que choisir ?