Le mouton qui rêvait d'être un loup [Fable]

10.

— Mais, ils ont dit que tu es morte ! jappa le louveteau n'en croyant pas ses sens.

Il n'arrivait plus à penser, il était épuisé. Calmement, la louve lui répondit :

— Être prisonnier, c'est être mort... et bientôt, ils auront raison.

Le louveteau pleura. Cette louve était l'une des meilleures chasseuses et venait rompre sa solitude en venir jouer et parler avec lui quand elle le pouvait ; il apprenait tant de choses à son côté. Elle lui apportait toujours les meilleurs morceaux de viande, sachant qu'il était plus faible que les autres ; il fallait qu'il gagne en force.

Chancelant, le louveteau marcha jusqu'à elle, la queue entre les jambes, les oreilles basses et l'avant de son corps rasant le sol, en guise de respect, et vint par en dessous frotter et lécher son museau. Il s'allongea près d'elle et malgré la douleur, elle lui offrit son flanc, leva la patte pour qu'il puisse venir se lover et se réchauffer contre son épaule, à moins que ce soit pour sentir la chaleur et le petit cœur courageux du louveteau battre contre elle. Le geste qu'elle fit réveilla la douleur de sa blessure, sans que le moindre grognement ne sorte de sa gueule.

Le louveteau s'endormit. Il ne rêva pas cette nuit.

Au matin, bien après que l'aube ait chassé l'obscurité, le petit quitta la louve blessée et rejoignit la tanière. Les loups semblaient occupés, personne ne remarqua son arrivée, probablement que personne n'aperçût son absence. Les grognements étaient étranges, les odeurs confuses, quelque chose se tramait, mais ce n'était pas ce qui préoccupait le louveteau. Il mangea la viande que la meute avait rapportée pour la portée, il reprit quelques forces, juste ce qu'il fallait, et garda ce qu'il restait de sa portion pour l'amener à la louve blessée.

— Je reviendrais dès que je pourrais, promit le louveteau.

Et c'est ce qu'il fit, parcourant la longue distance aller et retour entre la tanière et la louve pour partager avec elle ses maigres repas.

La louve lui disait de ne plus venir. Il prenait trop de risque ; il ne mangeait pas assez, il dépensait son énergie pour une déjà-morte. Mais elle le remerciait, elle en connaissait le prix.

Jamais elle ne se plaignit alors que la douleur était toujours plus grande, et pas seulement concernant sa patte, ni même la faim qui la tiraillait ou encore la mort qui planait au-dessus d'elle, c'était son emprisonnement qui lui causait la plus grande souffrance.

La louve regardait le louveteau s'éloigner, même après que sa silhouette ait disparu. Elle était fière de son petit protégé et profondément reconnaissante. C'était elle qui avait soufflé au sein de la meute un air de changement, celui de l'esprit remplaçant la force. Elle était fière, et le courage du louveteau lui redonna espoir, lui redonna l'envie de vie, de retrouver la liberté, quel qu'en soit le prix.

Les jours et les nuits passèrent, la neige tomba encore, rallongeant l'effort que le louveteau devait fournir, l'éreintant de froid un peu plus à chaque fois, se faisant mordre un peu plus par l'hiver, quand miraculeusement la louve réapparut au sein de la meute, en boitant, et pas seulement...

Elle avait réussi, jour après jour à entamer sa chaire, à ronger son os pour se libérer. Oui, c'est ce qu'elle avait fait, dès que le louveteau s'en allait, de ses crocs elle s'était mutilée, ravalant sa douleur, pour s'arracher à ce piège, pour retrouver sa liberté, qu'importe le prix à payer !

Plus que jamais, la louve inspirait un grand respect au louveteau. Elle ne baissait plus les oreilles ni ne pliait l'échine, portait la queue et le regard hauts, même si à présent elle était infirme. Jamais elle ne s'en plaignit.

— Je n'ai perdu qu'un bout de patte, je n'ai pas perdu la vie ! grogna-t-elle au louveteau. Certes, je ne chasserai plus aux côtés des autres loups, mais je pourrai toujours faire le guet, surveiller les louveteaux... Et puis, tu sais, les loups blessés sont les plus dangereux.

— Pourquoi ? s'étonna le louveteau.

— Parce qu'ils savent qu'ils peuvent survivre !