Chapitre 62:

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Alistair était devenu accro au sang après une rencontre particulière. Il avait eu le malheur de boire le sang d'une voyante et de la tuer en l'asséchant. Une télépathe du futur. Le sang des télépathes a un goût extrêmement enivrant et apparemment addictif. Le conseiller avait succombé à la tentation et avait payé le prix pour cet écart.

Les télépathes, pour avoir un sang si remarquable, ont quelques particularités. En effet, le don n'était pas donné sans conditions. Chaque télépathe se retrouvait obligé à être honnête. Le mensonge ne leur était pas permis. N'était pas permis autant aux autres qu'à moi. Cela ne voulait pas dire que nous étions dans l'obligation de dire absolument tout. Juste qu'on ne pouvait pas donner une réponse diamétralement opposée à la véritable réponse d'une question. On donnait une demi-vérité, on évitait la question. On ne mentait pas les yeux dans les yeux, tout simplement.

Ensuite, pour voir l'avenir ou le passé de quelqu'un, il faut abandonner quelque chose. Je ne sais pas si cela se décide avant notre naissance, ou si un être apparaît et nous pose l'ultimatum avant de nous le faire oublier. Peut-être aussi que c'est héréditaire. Xiemoti m'a expliqué tout ça. Elle m'a fait part du brouillard sur ce point. Elle m'a demandé si je savais ce que j'avais abandonné. Je voulais lui poser la même question. On ne pouvait jamais vraiment deviner nous-même qu'elle était la chose qu'on avait décidé d'abandonner. Et si nous-même étions incapable de savoir ça, ceux qui nous entourent ne pouvaient que supposer. Parfois cela apparaissait comme une évidence. Comme pour Alana par exemple, qui avait sans doute choisi d'abandonner sa capacité à parler correctement une langue. N'utiliser qu'un seul temps de conjugaison pour tout peut rendre la communication compliquée et rend la jeune femme moins convaincante.

La voyante qu'avait tué Alistair avait abandonnée sa mémoire. Elle était une vraie passoire. Tout ce qu'elle voyait, pensait, vivait... elle l'oubliait dès le lendemain. Elle ne savait pas quand ça avait commencé. Elle oubliait tout. Ce lourd sacrifice faisait d'elle une puissante divinatrice, puisque ce qu'elle avait sacrifié n'était pas un langage particulier. Elle avait sacrifié sa famille, ses amis, ses ennemis, son passé. Sa vie. Alors, pour combler ce manque, elle cherchait inlassablement les gens de ses visions. Pour les prévenir d'un malheur. Pour les regarder vivre leur bonheur. Pour observer ce qu'elle ne pouvait avoir sans passé : des visages illuminés ou assombris par des émotions, des souvenirs bons ou mauvais qui se créent. Un instant présent qui passe et qui s'encre dans le temps et les esprits. Un instant qu'elle oubliera irrémédiablement.

Lorsque je clignai des yeux, rompant ainsi le contact visuel entre Alistair et moi, je fus plongée dans son passé. Sa rencontre avec cette femme.

***

La faim me tenaillait depuis plusieurs jours maintenant. Pour le roi, j'étais venu dans cette région, afin d'y tuer quelques hérétiques voulant assouvir leur vengeance contre le monde qui les rejetait. Je les avais traqué, sans me nourrir, pensant que la chasse serait facile. Me voilà à suivre un délicieux fumet qui me guida jusqu'à cette étrange femme qui me tendait un carnet.

- Prenez-le je vous dis, répéta-t-elle une énième fois.

- Je n'en veux pas.

Pourquoi voudrais-je prendre son carnet ? Pourquoi veut-elle me le donner ? J'ai soif. Je n'ai pas la patience d'ergoter avec elle.

- Mais vous allez le prendre.

Ce n'était pas une question. Elle affirmait ce fait.

- Vous ne pouvez pas en être aussi certaine.

- Si, je le peux.

Elle me souriait et me regardait avec de grands yeux tellement naïfs que je ne sus que dire. Elle ne semblait pas comprendre que je risquais de la tuer à n'importe quel moment. La faim devenait plus forte et mon contrôle se perdait. N'avait-elle donc aucun instinct de survie ?

L'Ange RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant