CHAPITRE II : DORMIR SEUL

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Une lune pleine comme une pomme perçait le ciel, la nuit était chaude, un vent d'été soufflait entre les immeubles en transportant les rumeurs lointaines du minuscule centre ville. Kadvael avançait sans se presser, le majestueux de son long manteau noir qui fouettait l'air derrière lui donnait à sa grande silhouette une allure de faucheuse. Imposant et sombre, il se fondait dans l'obscurité avec une élégance féline, tandis que ses prunelles flamboyantes luisaient d'une façon surnaturelle. Surnaturelle pour les humains et si naturelle pour lui. La nuit était son sanctuaire, la rue son terrain de chasse, les idiots ivres ses proies les plus accessibles. Il lui fallait une âme ce soir, un contrat pour égayer la monotonie pâle de son immortalité désolée, mais il s'ennuyait déjà en imaginant sa future clientèle, cet humain insipide qui lui passerait entre les griffes. Il ou elle voudrait des richesses, des biens matériels, de la chair pour satisfaire ses désirs les plus enfouis, peut-être même du sang à verser en toute impunité. « Rendez-moi riche ! », « Rendez-moi belle ! », « Je veux vivre dix-mille ans ! », « Je veux gouverner des hommes ! ». Il les connaissait tous ! Des milliers d'années qu'ils se reproduisaient entre eux et des milliers d'années qu'ils engendraient les mêmes rebuts pitoyables. Mais de quoi s'étonnait-il ? Les belles âmes ne se laissaient jamais prendre au jeu du démon. Ne faudrait-il pas... Une odeur coupa court à ses pensées. Une odeur lancinante et amer qu'il ne connaissait que trop bien. Celle de la mort. Non, ce n'était pas les relents immondes de la chair en putréfaction qu'il sentait, mais la senteur légère et froide de l'âme qui s'essouffle. Intrigué, le démon fit quelques pas vers la ruelle d'où venait l'odeur en question. L'air était imprégné par la peur et... Kadvael s'avança d'avantage dans l'obscurité, par la tristesse. Là, étendu et inconscient, c'est un jeune homme que le démon découvrit sans trop de surprise. Il fit encore trois pas et s'arrêta net à quelques centimètres du mourant. Il avait les cheveux d'un blond pâle, presque blanc, des mèches lisses répandues sur les pavés sales. Kadvael s'accroupit pour y passer la main et vérifier; vérifier qu'ils étaient doux. Deux prunelles d'un bleu limpide s'ouvrirent et se posèrent sur lui. Des yeux à demi-clos cernés par de longs cils clairs le fixaient, perdus dans le vague d'un entre-deux mondes, ce miroir d'une âme qui s'en allait. Le mourant avait le visage ovale, ses lèvres hâves et craquelées, dessinées comme au pinceau, s'entrouvraient sur ses dents blanches. Son souffle était à peine audible. Kadvael fit descendre son regard le long d'une gorge laiteuse, puis sur une carrure mince et modeste, défigurée par un tee-shirt informe à l'effigie d'un groupe humain. De part et d'autre de son corps, ses mains tournées vers le ciel exposaient deux poignets méchamment entaillés. Épais et sombre, le sang coulait sur les pavés noirs. Kadvael demeurait muet, le jeune homme absorbait son attention. Toute son attention. Une vague impénétrable lui emplissait le corps, un sentiment allait en lui comme l'eau s'achemine d'un fleuve à un autre, l'inconnu était, il était...

- Magnifique, souffla-t-il.

Il n'aurait su dire quelles circonstances l'avait rendu ainsi à ses yeux. Était-ce dû à l'ennui mortel qui le tenaillait ce soir ? Á ces rebuts d'humanité qu'il avait observé toute la soirée et qui constituaient son élément de comparaison le plus récent ? Ou peut-être était-ce le théâtrale de sa position, ainsi sacrifié au monde avec ses mains ensanglantées tournées vers le ciel ? Peut-être était-ce tout cela à la fois. Toujours est-il que la chose était là et, il en était sûr à présent, il le voulait pour lui. Pas pour dévorer son âme, jouir de sa fin quelques instants et l'effacer définitivement du monde. Non, Kadvael voulait sa chair. Il se sentait l'âme de l'un de ces bestiaux obscènes noblement appelés « êtres humains » par ce qu'il n'avait jamais autant désiré posséder quelqu'un. L'accouplement et les plaisirs charnels ne lui étaient pas pour ainsi dire inconnus, bien au contraire, sa nature même était un séduisant érotisme qui lui facilitait la tâche lorsqu'il devait piéger ses proies et il avait bon nombre de fois satisfait les désirs de sa clientèle quand la demande y était. C'était une chose qui pour lui n'avait qu'une infime importance. Kadvael pouvait réduire n'importe quel humain à l'état d'objet sexuel si l'envie lui prenait, ses démons de troisième ordre étaient également là pour le servir, quelle que soit la demande. Pour leur race, ce n'était pas une chose honteuse, intime ou blâmable, ni même un acte d'amour, simplement un plaisir comme un autre qui leur permettait bien souvent de passer le temps.

Be my slave and I'll be your loverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant