Quatrième page de l'ouvrage, ou "Quand l'ennui vous dévore..."

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La douce mélodie de la pluie me berçait, alors que l'aube pointait à peine son nez et que ses rayons meurtriers ne nous visaient pas encore... La moue endormie d'Emërir était adorable, et, discrètement, je venais troubler son paisible sommeil afin de vérifier l'état de ses blessures, défaisant sa chemise sans même la faire bouger, mettant ses os charbonneux à nu... La grande griffure barrant son omoplate stagnait, et il se plaignait toujours de fortes douleurs à cet endroit, cela m'inquiétait... Cette blessure était notre secret, ce petit être avait beaucoup de mal à se confier, mais lui et moi, on se comprenait.

Etant moi-même considérée comme quelqu'un d'étrange, je pouvais aisément montrer à mon cadet la façon dont j'avais surmonté mes propres difficultés, la façon dont j'avais détruit les murs entre mon esprit et le monde extérieur, la façon dont j'arrivais à être attentive, alors que je me perdais souvent dans mes pensées...

L'écriture m'aidait, je devais l'avouer... Et ce journal me permettait de me souvenir des jours passés, ces jours que j'avais du mal à me remémorer... Malgré tout, je restai dans cette voiture ennuyante, sans distractions autres que mon journal et ma plume... Pourquoi pas m'imaginer un paysage, et le décrire ? Cela serait ennuyant... Pour vous comme pour moi...! Alors, je vais vous décrire la scène dans laquelle je suis émergée, encore et toujours, attendant la libération qu'allait être notre arrivée au manoir de Fallacy... Mais après cette libération, j'allais être assaillie par l'énergie de mon cher Jasper, et son ami Orion. Je parlai quelque peu anglais, mais comprenais avec facilité la langue du jeune comte, et en échange, le jeune en question savait parler, lire et écrire le français, ce qui m'aidait grandement lorsque j'étais en voyage dans leurs inhospitalières isles...

Bien, décrivons, figeons cette scène pour des siècles et des siècles...

L'air était sombre dans le fiacre richement décoré, aux murs tapissés de satin aubergine, et aux multiples enluminures, arabesques d'argent représentant un arbre recevant la lumière des brillantes étoiles, sous le croissant de lune incrusté de plusieurs diamants. A ses branches pendaient une hallebarde et une rapière, elles aussi grises, et brillantes, tranchantes comme les plus aiguisés des rasoirs, reflétant sur leurs lames le peu de lumière qui perçait entre les rideaux d'un noir profond et luisant. La petite lampe à huile accrochée en face des sièges faisait pâle figure, sa flamme chétive titubant à chaque choc dans la voiturette. Il n'y avait qu'un banc, bien évidemment matelassé de néant pur, allié à des coutures argentées formant un ciel nocturne, noir sombre piqueté d'étoiles luisantes, sur lequel était installés quatre vampire d'une famille bien connue... Les Pensées-Nocturnes, famille qui régnait depuis trois générations sur le duché de Bourgogne, alliés à l'excellent guerrier, Cruzar, le mordu espagnol qui, alors qu'il n'était qu'un solitaire, avait été recueilli par les frères Pensées-Nocturnes, et régnait à présent sur le plus influent des duchés français...

Présentons les quatre personnalités du duché... Premièrement, l'héritier Macabre, représentant l'autorité, l'ordre et la droiture. Il était plutôt distant à première vue, on n'arrivait pas à le cerner. Cela déstabilisait les escrocs que de comprendre que ce vampire, si jeune et pourtant si réfléchi voyait clair dans leur menterie avide de quelques pièces. La Grande Dame ne l'avait pas marié comme la tradition le voulait, il avait choisi, seul, quelques années après le décès de la regrettée duchesse, son compagnon, après multiples réflexions. Appuyé sur son épaule, ledit mari, Cruzar, qu'un enfant des rues parmi d'autres... Certains fabulaient qu'il avait épousé le duc seulement pour son titre. Ces gens-là sont des charlatans frustrés de s'être mariés sans sentiments. D'origine espagnole mais parlant parfaitement français, il avait l'habitude d'être généreux, d'être gentil, mais impitoyable au combat. Je connais deux enfants que Mère a recueilli, une puissante magicienne et un archer, engagés dans l'armée de Père. Aussi impitoyables que lui. En troisième position, le cadet Emërir. Dix ans, mais, en tant que vampire, il était très jeune. Très jeune, sujet à des rêves prémonitoires- bien que je ne sois pas sûre que ces genres de songes existent, je dois avouer qu'il a toujours été juste dans ses visions. Un petit bonhomme plein d'intelligence, de jugeote aussi... Je n'arrivais pas à le berner comme Père me bernait quand j'étais jeune... Haha, il me faisait croire à d'incroyables histoires... Mais lorsque je voyais son sourire de père amusé, ce même sourire qui me faisait pester, je ne pouvais lutter contre l'intenable tendresse qui réchauffait mon âme endormie.

Puis, bonne dernière, voici la Première Dauphine du Duché, Illusie des Pensées Nocturnes. On racontait que mon prénom venait d'un étrange comportement de Mère, alors que je me construisais lentement au creux de son ventre ; il lui arrivait d'avoir d'étranges hallucinations qui le rendaient affreusement méfiant, on m'avait même dit qu'il eût pointé sa lame à la gorge de Père... J'en doutais fort. Mais ces illusions eurent donné forme à mon prénom, si peu conventionnel qu'il m'eût coûté des moqueries lors de grandes réceptions ou de bals. Même si je n'y prêtais pas attention.

De caractère droit et bourru, j'étais du même type que mon paternel, peu encline à l'amusement comme aux jeux et à la pitié. Cependant, j'avais de Mère la capacité à souffrir en silence, tout comme celle de parler fort et si vite qu'on pourrait ne plus me comprendre, si je ne me forçais à ralentir.

Si vous nous enleviez notre titre, nous n'étions qu'une famille comme il en existe tant : un père sévère, son héritier façonné aux souhaits de ce dernier, une mère protectrice qui elle couvait encore le cadet, attendant un benjamin dans les mois à venir.

Vampireverse, recueil.Where stories live. Discover now