Prologue

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Valentin

La musique techno assourdissante propage des vibrations sous mes pieds.

Accoudé à la balustrade du deuxième étage, j'observe avec attention la piste de danse surpeuplée, éclairée par les lumières blanches qui clignotent et confèrent aux lieux une impression ambiante de temps au ralenti.

La marée humaine qui empeste la transpiration et grouille en contrebas ne m'intéresse pas. Pas plus que les groupes d'amis qui s'enivrent en riant, les couples qui se bécotent sur les canapés et les jeunes filles légèrement vêtues qui se trémoussent pour attirer l'œil des prédateurs mâles.

En ce qui me concerne, je suis un tout autre genre de prédateur.

Je guette calmement ma proie dans la foule. Je ne l'ai pas quittée des yeux depuis mon arrivée. Tous les samedis soir, elle se rend dans cette boîte de seconde zone pour se saouler et draguer. Une invariable routine destinée à compenser la triste vacuité de son existence. 

Je la surveille à distance depuis des semaines. Je l'ai prise en filature à maintes reprises sans me faire repérer. Je connais son identité, son âge, son parcours professionnel, son adresse, son travail, sa famille, ses amis, ses habitudes quotidiennes.

Figurez-vous que je suis un élève studieux et assidu. Je m'acquitte toujours de mes devoirs. Je suis extrêmement prudent et méthodique. Je m'impose un code de discipline strict dans le cadre de mes activités.

La preuve, je n'ai pas bu une goutte d'alcool. Mon esprit doit rester parfaitement chiaro*.

Je n'ai pas non plus répondu aux invites gestuelles séductrices des filles qui m'ont remarqué. Mon corps est tendu vers un objectif bien différent.

Il est quattro di mattina*. Ma proie fatiguée serre la main de ses amis en leur souhaitant bonne nuit et se dirige vers la sortie d'une démarche légèrement titubante.

Je descends les marches pour lui emboîter le pas. Trois femmes me distribuent des regards brûlants et des sourires aguicheurs au passage, mais je les ignore. Je dépasse la plupart des hommes présents d'une tête, sans parler de ma carrure intimidante ; par conséquent, les gens qui me voient s'écartent de mon chemin. Ceux qui me tournent le dos, occupés à boire, à discuter ou à danser ne notent même pas le déplacement d'air subtil engendré par mes mouvements discrets. Je les frôle, le regard fixé sur la silhouette de ma proie, en me faufilant entre eux comme un serpent fantomatique. Cependant, certains d'entre eux, un peu plus intuitifs, frissonnent en se retournant vers la place vide à laquelle je me trouvais deux secondes auparavant en se demandant pourquoi ils sont soudain pris de chair de poule et de sueurs froides. Vous avez déjà entendu parler de l'instinct de conservation qui s'éveille à l'approche d'un danger imminent ? Ils le possèdent – du moins en partie. Mais s'ils avaient eu une idée plus précise du genre de prédateur que je suis, jamais ils ne m'auraient tourné le dos.

Dehors, abrité par les ténèbres, je traque ma proie dans la fraîcheur nocturne en rasant les murs. Mes pas ne produisent pas le moindre bruit sur le trottoir crasseux. Éméchée, elle rentre systématiquement à pied après sa soirée hebdomadaire : son domicile est situé à seulement un kilomètre de la discothèque. Elle n'a pas noté qu'elle était suivie par une ombre furtive.

Je parle de ma proie au féminin, mais il s'agit d'un uomo*. Quarante-deux ans, divorcé, deux enfants, fonctionnaire, doté d'un physique banal et d'un tempérament fade. Le genre de type que l'on oublie sitôt l'avoir croisé et qui, à priori, n'a rien de particulier à faire valoir.

Le prince charmant existe!(Il est italien et tueur à gages) *Publié chez BI*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant