Arte Corpus 2 - Angel et Raph (Sous contrat d'édition chez Plumes du Web)

5 - Advienne que pourra

RAPHAËL

Je fais vraiment un effort colossal pour ne pas sourire comme un con. Angélique est là, aussi raide et glaciale qu'elle peut l'être, assise dans ce pouf informe. Ses yeux bleus ne cessent de m'envoyer des éclairs à chaque fois qu'elle surprend mon regard sur elle, et sa bouche pleine est pincée, dévoilant deux petites fossettes juste au-dessus de sa lèvre supérieure.

Bizarrement, je remarque la teinte halée de sa peau, qui ressort contre le blanc immaculé de son haut. Et c'est aussi ainsi que je constate que le tissu dégage ses épaules et qu'elle ne porte sans doute pas de soutien-gorge.

Pour une raison ou une autre, ce constat m'électrise complètement. Pourtant, je ne mentais pas, en disant qu'Ange n'est pas mon genre de femme. Je les aime plus pulpeuses, plus gourmandes. Elle, elle est toute menue, presque aérienne. Mais il se dégage d'elle un je ne sais quoi d'innocent et de sensuel qui m'oblige à admettre qu'elle est jolie. Très jolie même.

Mais toute cette pureté est bien malmenée par les coups d'œil assassins qu'elle me balance depuis tout à l'heure. Quand elle me regarde comme ça, avec tout le dédain ou toute la méfiance que je lui inspire, Angélique n'a plus rien d'angélique. Et au lieu de m'en formaliser ou de m'en agacer – parce que je pourrais clairement mal le prendre -, ça ne fait que m'amuser.

Noah revient avec une bière, qu'il me tend avant de retrouver sa place à côté de Tori sur le canapé.

– Quand est-ce que vous partez pour Strasbourg exactement ? demande-t-il.

Je laisse le soin à Tori de répondre pour nous deux, trop occupé à jouer avec la capsule de ma bière.

– Dans à peine trois semaines. On partira sûrement tôt le jeudi matin pour pouvoir être opérationnels dès le premier jour de la convention, le vendredi.

C'est d'ailleurs pour ça que je suis venu. Noah m'avait emprunté une clef USB, et j'en ai besoin pour faire imprimer le portfolio regroupant une bonne partie des tatouages que j'ai déjà réalisé. Jonas s'étant pointé au salon il y a peu pour nous annoncer notre inscription à la convention, je n'ai pas trop le choix que de jouer le jeu. Et puis, subtilement, je compte bien profiter de l'occasion pour faire parler de nous et dégoter quelques contacts.

– Tous les ans, nous passons une soirée avec certains des confrères de la région, nous informe Noah. Celle de cette année a lieu dans deux semaines.

– Quel genre de soirée ? interroge Tori, visiblement intriguée.

Impossible de réprimer le petit rire moqueur qui monte dans ma gorge. Noah est un mec en or, vraiment, et je ne pouvais pas rêver mieux comme petit-ami pour Tori. Mais sans déconner, une soirée entre psychiatres et psychologues ? J'imagine assez bien l'ambiance.

– Le genre pantalons à pinces et champagne, Tori, quoi d'autre ?

Du coin de l'œil, j'intercepte l'air exaspéré d'Angélique. Mais Noah ne se démonte pas et me sourit avec toute la patience et la diplomatie qui le caractérise.

– Tu serais surpris de voir à quel point les anciens de la profession peuvent se dévergonder. Tu sais ce qu'on dit : les psys sont souvent plus fous que leurs patients.

Un point pour lui. C'est sans doute la seule raison possible pour que quelqu'un ait sincèrement envie d'entendre geindre et chouiner toute la journée. Honnêtement, je ne sais pas si je les admire ou si je les trouve complètement insensés.

D'une oreille distraite, j'entends Noah demander à Tori de l'accompagner à cette soirée, mais je suis un peu trop occupé à regarder Angélique boire sa bière directement au goulot pour y prêter vraiment attention. Alors même que la plupart des femmes aurait l'air vulgaire en faisant ça, chez elle, ça paraît presque gracieux.