Arte Corpus 2 - Angel et Raph (Sous contrat d'édition chez Plumes du Web)

4 - Excuses acceptées

ANGÉLIQUE

Une fois par semaine, je me rends au Refuge des petits sabots, pour accomplir ma mission de bénévole. L'association, visant à offrir un havre de paix aux équidés maltraités ou destinés à abattoir, a élu domicile à une quinzaine de kilomètres de la ville. Cela me permet à la fois de prendre un bon bol d'air à la campagne, et de ne pas avoir à faire une heure de route pour donner un coup de main.

D'ordinaire, je m'y rends le dimanche et j'en profite pour emmener mon frère avec moi. Il n'est pas très à l'aise avec le côté imprévisible de certains de nos pensionnaires, mais il passe l'après-midi avec Bigoudi, un petit bâtard énergique qui s'est trouvé le parfait envoyeur de balle et donateur de papouilles en la personne de Jérôme.

Mais aujourd'hui, j'ai filé au refuge directement après mes rendez-vous du samedi matin. En quittant le cabinet, j'ai tout de suite compris que la présentatrice météo ne s'est pas trompée : une chaleur caniculaire s'est abattue sur la région pour le week-end. Cela m'a conforté dans mon idée : mon grand frère serait plus à son aise à l'appartement, plutôt que sous ce soleil de plomb. Il va sans doute être déçu, mais je ne peux pas prendre le risque de l'exposer à la chaleur, surtout pas avec l'importante pathologie cardiaque dont il est atteint.

Après avoir brièvement appelé mon père pour lui demander si tout allait bien – et lui rappeler au passage les recommandations nécessaires en ces températures élevées – j'ai quitté l'habitacle climatisé de mon Auris hybride. J'ai vissé mes lunettes de soleil sur mon nez, et fait le tour du refuge pour saluer tout le monde. J'ai ensuite rejoint la partie du haras destinée à l'équipe, et j'ai troqué ma jupe et mes sandales à talons pour un vieux short, des baskets et une casquette.

J'ai passé l'après-midi à m'assurer que les chevaux ne manquaient de rien, à remplir les abreuvoirs d'eau fraîche et à rentrer certains pensionnaires dans leurs box, à l'abri du cagnard. Certains ont même eu droit à une douche pour éviter le coup de chaud. Avec Rémi et Séverine, les deux bénévoles avec qui je m'entends le mieux, nous sommes ensuite allés nous asseoir à l'ombre d'un arbre pour boire un coup.

Je les écoute bavarder d'une oreille distraite, allongée dans l'herbe folle. Je suis collante de transpiration, je sens le poney – au sens propre du terme – et j'ai beau savoir que je vais m'écrouler dans mon lit ce soir : je ne me sens jamais aussi sereine qu'après une journée ici. La nature, la bonne humeur des membres de l'association, le contact incomparable avec les animaux... Tout ça, ça suffit à m'apaiser et à me vider la tête.

En ce moment, ça m'aide notamment à oublier que l'homme qui fait battre mon cœur depuis trop longtemps n'est plus disponible. Que Tori, cette tatoueuse pleine de charme, est incontestablement la femme qu'il lui fallait dans sa vie.

A cette pensée, mon cœur se serre, se comprime, alors que mon cerveau et ma raison savent très bien que c'est ridicule, et que Noah mérite tout le bonheur du monde. Et puis, qui pourrait douter un seul instant que ces deux-là sont faits l'un pour l'autre ? Je n'ai jamais vu mon meilleur ami aussi épanoui, aussi heureux. Et, pour ce que j'en sais, Tori m'a tout l'air d'être assez courageuse et entraînée pour être en mesure de braver les vieux démons de Noah.

Elle l'est plus que moi, en tout cas. Moi, qui me suis surtout contenté de l'épauler comme une amie, sans jamais mener l'offensive. Je ne me sens même pas en colère, ni contre lui, ni contre elle, pas même contre moi. Je suis même contente pour eux, en dépit de l'arrière-goût désagréable que me laisse ma rencontre avec Tori. Pourtant, c'est bien moi qui me suis montrée désagréable cette fois-là, pas elle. Et même si Noah ne me dit rien, je sais qu'il aimerait que j'enterre la hache de guerre avec la femme dont il est tombé amoureux. Mais il est juste trop gentil pour me le réclamer.