1 - Ciseaux et balai

13.7K 1K 443
                                    

RAPHAËL

Je regarde le paysage ensoleillé à travers la vitre de la voiture, et une seule question tourne en boucle dans ma tête : « Putain, mais qu'est-ce que je fous là ? ». Alors oui, je sais très bien que je suis plein de mauvaise volonté, que c'est quand même la fête de fiançailles d'un de mes meilleurs potes, mais j'y peux rien. Ça me fait profondément chier d'y aller.

J'ai enfilé une chemise à la noix, dont l'étiquette s'amuse comme une petite folle à venir irriter la peau de ma nuque. A côté de moi, Victoria – alias Tori – n'arrête pas de me jeter des coups d'œil scrutateurs, comme si elle craignait que j'ouvre la portière et me jette sur l'asphalte pour échapper à cette soirée. Elle me connaît bien faut dire, sans doute mieux que n'importe qui, si j'oublie Andy, qui tire une tronche de six pieds de long depuis la banquette arrière.

Comme moi, il n'est pas jouasse à la perspective de voir roucouler un couple fou amoureux pendant plusieurs heures. En ce qui me concerne, c'est juste parce que les démonstrations publiques d'amour, ça me sort par les yeux. Pour lui, c'est un peu plus compliqué, vu le nombre d'histoires merdiques qu'il a enchaîné.

Ce qui n'empêche pas que nous sommes tous les deux ici, comme deux crétins, plein cap sur la région parisienne. Je n'attends rien de cette soirée, j'ai simplement envie que le temps s'accélère pour retrouver au plus vite mon plumard. Heureusement que j'ai embarqué deux paquets de clopes avec moi, ça va me sauver la vie et, éventuellement, me permettre d'être un peu moins con.

Quoique, je ne peux rien affirmer, concernant ce dernier point.

Très vite, Tori stationne sa Clio dans la cour gravillonnée qui s'étend devant le gîte loué pour l'occasion. On dirait un petit manoir perdu au milieu des bois, un truc assez rupin et sûrement hors de prix à la location. Cela dit, quitte à passer la soirée ici, autant que j'en prenne plein les yeux.

Je m'extirpe de l'habitacle en marmonnant, au moment où je remarque que le futur marié s'avance vers nous avec un sourire de bienheureux. En temps normal, je me serais foutu de sa gueule, mais je me contente de lui rendre l'étreinte bourrue qu'il me donne, à grands renforts de tapes viriles dans le dos. Après avoir salué comme il se doit Andy et Tori, Romain nous entraîne vers l'entrée du gîte en nous faisant la conversation :

– Alex et Tim ne sont pas venus avec vous ?

Andy, ici présent, a un frère jumeau qui, en plus de passer sa vie à m'enquiquiner, est le pierceur qui travaille avec Tori et moi dans le salon de tatouages Arte Corpus. Mais Alex est aussi une vraie diva quand il s'agit de choisir ses fringues, et c'est pour cette raison que son mec et lui n'ont pas fait la route avec nous. Au bout du dixième essai de chemise, je lui ai laissé le choix : soit nous partions sans eux, soit il passait par la fenêtre. Ce petit con s'est marré, et nous sommes partis alors qu'il hésitait encore entre la chemise bleu marine en coton égyptien, ou la blanche en lin, qui s'accordait bien avec ce début d'avril ensoleillé.

J'ai failli l'étrangler.

Tous mes potes le savent pourtant, que mon niveau de patience est plus bas que la moyenne mondiale. Sauf quand il s'agit de mon boulot, où je peux passer trois heures penché sur le dos d'un gars à encrer dans sa peau des détails minuscules. Comme quoi, je suis plein de ressources.

Romain ricane quand Andy lui raconte les faits, puis nous invite à quitter l'entrée du bâtiment pour rejoindre la salle de réception. Il nous informe aussitôt qu'il va avertir sa future femme de notre présence, ce qui me laisse le temps de découvrir la décoration des lieux.

Arte Corpus 2 - Angel et Raph (Sous contrat d'édition chez Plumes du Web)Where stories live. Discover now