Chapitre 5

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Point de vue Claude

Les sabots de ma monture semblaient soulever à chaque galopade un fumet de sous bois. Le vent me fouettait le visage; mes pensées étaient libres, et virevoltaient au gré de la course effrénée de ma jument. La chasse révélait une partie de moi-même enfouie, libre, qui se délestait des brouilles ainsi que de l'étiquette; le temps semblait à la fois suspendu et incroyablement hâtif, palpable mais pourtant insaisissable.
Les chiens jappèrent. Je lançai un regard entendu à mon compagnon de toujours, mon roi.

Notre folle chevauchée me ramenait en mémoire les événements sanglants de cette glorieuse année 1515. La rayonnante victoire de Marignan.
J'eus combattu jusqu'à mes dernières forces. La bataille dura quinze heures; de longues heures de barbaries, mais également d'espoir, de loyauté indéfectible qui me lia alors à tout jamais à mon bon roi; d'alliance allant à la fraternité : j'avais en effet, suite à ralliement des forces vénitiennes à notre combat, conservé des amitiés très proches avec certains de mes compagnons d'armes italiens.

Je secouais la tête, focalisant de nouveau mon attention sur notre proie, un jeune cerf qui courrait comme si le diable était à ses trousses; réflexion faite, cela devait très certainement être l'image à laquelle il nous associait, un temps soit peu que de telles pensées puisse parcourir l'esprit d'un cerf.



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Point de vue Léonor

Je m'écroulais, à bout de souffle, sur un banc de marbre à l'extérieur, face aux jardins.
L'air de la salle de réception m'était devenu irrespirable, et je dois dire que les quelques coupes que j'avais partagé avec Marie-Louise ne m'avaient pas été d'un grand secours.
En revanche, la brise nocturne, elle, me mordait affectueusement, en maintenant ainsi mes pensées en ordre.
J'inspirai longuement tout en appréciant le flot de souvenirs qui se déversait en moi.
La chasse fût assez rapidement close, et les festivités s'enchaînèrent. Ma nouvelle amie n'avait hélas pas désiré m'en apprendre d'avantage quand à l'affaire qui opposait son frère à Monsieur de Foix; et, bien que déçue, je n'insistais pas, dans un soucis de discrétion.
Elle ne fût pas priée en revanche pour me dévoiler les - parfois... surprenantes - intimités de la scandaleuse Cour de France, dont les bien connues infidélités du bon Roi.
Je soupirai en sortant le mouchoir de soie que cet homme m'avait remit. Je n'avais pas eu l'occasion de le revoir, mettant tout en l'oeuvre pour l'éviter. L'épisode de la chasse m'avait grandement embarrassée vis à vis du personnage, et, malgré mon admiration pour ce roi phare et extrêmement, je dois l'avouer, séduisant, je ne tenais pas à m'exposer de sitôt devant lui.

Un bruissement provenant des jardins me fit relever la tête. Je me levai instantanément, lissant ma jupe. Je descendis les quelques marches qui menaient aux jardins. Je saisis mes jupons dans mes mains, et avançais avec précaution. Seuls mes pas dans le gravier se faisaient entendre. Puis, rapidement, de légers sanglots. Je franchis une haie. Un point d'eau s'épanouissait, reflétant la douce lune qui brillait d'une lueur bleuté. Sur un banc, dos à moi, était assise une jeune femme.
Elle portait une coiffe caractéristique, posée sur le milieu de sa tête, qui couvrait ses cheveux par derrière. Sa robe, sobre mais faite de tissu noble, semblait plus la camoufler que d'épouser ses formes.
Sa tête était baissée, et semblait en plein désarroi. J'hésitai quelques instants à la rejoindre, et d'aider cette jeune inconnue.
Or, lorsque je m'apprêtais à m'avancer, une voix s'éleva dans la nuit, me poussant à me cacher derrière la haie la plus proche.

« Votre Majesté ! Me voilà soulagée, j'eus peur qu'il vous soit arrivé malheur! »

Je tendis le cou, tentant d'observer la scène. Une jeune femme, svelte, avait fait son apparition. Son visage, fait d'un savant mélange de traits fins et félins, était la personnification de la beauté. Ses cheveux châtains paraissaient plus clairs sous la lumière de l'astre lunaire; des perles étincelaient dans ceux-ci, ainsi que brodés sur sa robe.
Elle s'était agenouillée aux pieds de la demoiselle assise.

« Oh Diane! Je ne sais point que faire ; je ne puis supporter plus longtemps ces frivolités incessantes... Ne puis-je jouir simplement de ma foi, suis-je réellement destinée à subir ma couronne, qui me semble de plus en plus pesante ? »

Mes yeux s'écarquillèrent. Nom de Dieu, c'est la Reine!
La Reine Claude. Je l'avais furtivement aperçue au début de la réception, aux côtés du Roi François. Et j'avais fui, entraînant à ma suite Marie-Louise, prétextant je ne sais quel besoin pressant. J'avais cependant eu le loisir d'observer la jeune blonde, très petite comparée à son imposant mari, aux petites prunelles bleutées, qui laissait apparaître une douceur et une fragilité extrême. Elle m'inspirait plus tendresse et pitié qu'autres sentiments, d'autant plus après les explications que Marie-Louise m'avait fournie concernant la jeune monarque.
En effet elle me l'a décrit comme étant très renfermée, son quotidien se calquant sur les rythmes des messes, des visites de son royal mari et de son cercle de dames d'honneurs. Elle ne se mêlait pas aux gens de la Cour, et cela lui avait valu bon nombre de critiques et de moqueries.

Je me retrouvais donc là, spectatrice du désespoir de la jeune reine. Sa compagne était sans aucun doute l'une de ses dames d'honneurs. Je gardais son prénom en mémoire, afin de pouvoir à l'avenir interroger ma chère amie.
Je fis tranquillement demi tour, faisant face au château. Ainsi qu'à l'escalier en fer à cheval.
Mon regard retraçait le chemin fait de gravillons. Mon sang ne fit qu'un tour en jetant mon regard en direction d'un jardin singulièrement familier. Le jardin de Diane!
Mes jupons en main, je courrais à présent. Allais-je pouvoir y trouver des réponses ? Une porte de sortie?

Essoufflée, Je me trouvais de nouveau face à la fontaine. La scène me paraissait surnaturelle. J'étais là où tout à commencé.
Mais où chercher, si tant est qu'il y avait quelque chose à trouver?
Je dévalais les marches qui menaient à la fontaine, et en fit rapidement le tour. L'eau se déversant dans le bassin aurait eu à l'oreille de quiconque résonné tel une douce mélodie, mais à cet instant elle ne me procurait qu'un stress et un malaise plus intense.
Je jetai mon dévolu sur le haut de l'oeuvre, où trônaient Diane... Immédiatement, les différences furent flagrantes. La déesse de la chasse n'était plus seule sur son socle, mais était accompagnée d'un jeune cerf. Le joyau étincelant qu'arborait Diane lors de ma première visite manquait également à l'appel, et enfin, son arc avait laissé place à un carquois rempli de flèches.
Mon attention se focalisa rapidement sur l'animal de pierre. Le détail était impressionnant. L'on pouvait s'attendre que d'une minute à l'autre, l'animal chétif se décide à sauter puis fuir dans la lisière du bois, à quelques mètres. Or, l'on ne décelait que de la quiétude et de l'apaisement émanent de la sculpture. Son regard était d'ailleurs fixé à l'opposé des bois, en direction du château. Et plus exactement d'une porte, encadrée par deux grandes sculptures de pierres blanches.

Mon regard se rattacha au cerf, et un détail qui m'avait alors jusque là échappé me sauta aux yeux. Dans ses bois était coincé un objet aux formes recourbées. Enflammée par la curiosité, j'entrepris sans aucune réflexion l'ascension vers le socle où se tenait la sculpture. Autant dire qu'avec mon délicat - et encombrant - habit, le spectacle devait être folklorique...
Je la déchirai à plusieurs reprises, la transformant bientôt en un ensemble de lambeaux, mais je n'en n'avais cure. Seul m'importait l'objet qui fut à la portée de ma main. Je la tandis, étant en équilibre sur le socle, tout en prenant appui sur le cou de l'animal. Je glissai, mais réussi à me rattraper à temps, arrivant à saisir du même coup le mystérieux objet. Soulagée, je baissai la garde. Une seconde. Et cette seconde suffît pour que mon emprise sur la statue se fit moins forte, et je glissai. Pour de bon. Je fis une chute de deux mètres et quelques avant d'atterrir dans le bassin. Terrorisée à l'idée qu'une nouvelle noyade puisse avoir lieu, j'hurlai à plein poumon. Mais rien ne se passa, et je me retrouvais ainsi trempée, et égratignée dans le satané bac. Mais l'objet toujours en main. Je me relevai avec peine, sorti difficilement du bassin puis observait l'objet. Il était indéniablement fait d'or, et était sculpté en forme de S à l'envers. Je posai mon regard de nouveau sur le cerf, avant de suivre le sien vers les statues. Je me décidai enfin à m'approcher d'elles, dans des clapotis insupportables.
La lune leurs conférait une couleur bleuté, pratiquement féerique. L'une de ces statues était une femme partiellement dénudée, légèrement penchée vers la gauche. Sa tauge semblait avoir glissée jusqu'au bas de son corps, mais était toujours tenue par sa main gauche, qui était elle même dissimulée par la droite. Intriguée, je me penchais vers celles-ci. Mes yeux s'écarquillèrent en apercevant ce que la sculpture semblait cacher.
Il s'agissait d'un objet semblable à celui trouvé sur la fontaine, fait du même or étincelant, mais était partiellement recouvert d'un parchemin, à première vue déchiré.
Je m'en emparait précautionneusement, de peur qu'un autre malheur me tombe sur la tête. Mais rien ne se produisit.
J'observai alors mes trouvailles. L'objet était lui en forme de S normal. Je me focalisai alors sur le bout de parchemin.
L'on pouvait apercevoir un bout de carré dessiné, avec des colonnes et des cases. Je comptais rapidement cinq cases de longueur par colonnes. Chaque cases contenaient des chiffres, à première vue disposés dans un sens précis.

23 6 

10 18 1

 17 5 13 

4 12 

11 24


Et en dessous du chiffre 13, aux côtés du 12, pouvait se deviner le chiffre 25.
J'inspirai et expirai de plus rapidement, très certainement prise d'une crise d'angoisse. Mais qu'est-ce qu'il pouvait bien se passer dans ce château ! Je m'effondrai à terre, n'était plus qu'une loque difforme et haletante. Ma vue se troublait à mesure que ma respiration s'accélérait.
Des pas résonnèrent au loin. Puis mon prénom fusa. Je serrai fort mes trouvailles contre moi. L'on m'empoigna.

« Léonor... »

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PRECISIONS


- La description de la fontaine de Diane dans ce chapitre est plus fidèle à la réalité.


- La bataille de Marignan ne fût gagnée que grâce au support des forces vénitiennes, contrairement à ce que l'on peut penser.

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⏰ Last updated: Nov 09, 2023 ⏰

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Tome I : L'émeraude de Saint LouisWhere stories live. Discover now