Chapitre 2

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Point de vue de Claude


« Va donc mander la présence de mon invitée, Georges.

- A votre service, Monseigneur. »

Le valet se déroba à ma vue, me laissant libre de parcourir mes pensées. Sans étonnement, elles convergèrent toutes vers cette gracile¹ créature, que j'avais arrachée aux griffes de ce scélérat de page grossier et impudent.
Elle était apparue à moi tel un ange, une pure création de Dieu. Placidement, je m'accoudai à une fenêtre, en m'interrogeant sur la manière dont elle allait m'apparaître, cette fois-ci. Si j'allais de nouveau ressentir ce pincement au coeur, cet émoi devant tant de beauté...
Deux coups, tels la foudre frappant la terre, s'abattirent sur la porte. Je me redressai, le coeur battant.
Georges fit son entrée dans la pièce.

« Monseigneur, Dame... »

Je perdis le fil de ses paroles, me noyant dans des prunelles semblable à un océan profond, qui venaient de se braquer sur moi. Je su, à cet instant précis, que mon existence en serai bouleversée à jamais. Je ne me vante pas de talent de divin, mais si il y a bien une chose que j'avais vu juste, il s'agissait de celle-ci... Cette femme causerait ma perte.
Après avoir pris la forme d'un ange, elle paraissait à présent avoir dérobé l'allure d'une reine; j'humais de l'autre bout de la pièce son effluve tentatrice. Je me félicitais de ne pas avoir cédé cette merveille de couture à ma femme... Cette véritable sylphide² avait l'art de la porter comme une seconde peau. Je n'avais point souvenance d'un spectacle aussi saisissant.
Elle s'inclina gracieusement, à quelques toises³ de moi. Je m'avançai, évinçant la distance qui nous séparait. Je tendis ma main. Telle une plume, la sienne vint caresser la mienne. J'encrai mon regard dans le sien, tout en portant sa main à ma bouche. Après un instant, je la libérai de mon emprise.

« Madame, votre présence est un véritable enchantement. »

Elle baissa humblement la tête, un léger sourire habillant ses lèvres vermeilles. Je l'invitai d'un geste à s'installer à son aise.

« Monseigneur, je ne puis trouver les mots pour vous remercier...

- Neni, ma chère, aucun remerciement n'est demandé. »

Elle s'assit sur le divan placé au centre de la pièce, comme si curieusement elle venait ainsi de prendre sa place au milieu de mes pensées.
Je m'installais juste en face, la regardant droit dans les yeux.

« Madame, vous ne pouvez imaginer mon soulagement de vous voir en meilleure santé. Je n'aurai pu me résoudre à être privé de votre compagnie ce soir.

- Grâce aux soins qui m'ont été portés, Monseigneur, je puis vous assurer que mon énergie est restaurée. »

Je taquinai ma bague, tout en poursuivant :

« Je n'ai pas la souvenance d'avoir eu le plaisir de nous présenter. Je me nomme Claude d'Urfé, Seigneur d'Urfé, La Bastie, Beauvoir, Saint-Just, Souternon, Entraigues et Rochefort. »

La belle créature inclina rapidement la tête en souriant, puis sa mine s'assombri. Elle respira profondément.

« Monseigneur d'Urfé, je crains d'avoir reçu un mauvais coup à la tête... Je ne sais plus, je ne me souviens plus, quel désarrois ! »

Elle posa une main sur sa poitrine, sa respiration se fut plus saccadée. La panique se lisait clairement sur ses traits. Emporté par l'émotion, je me précipitai à son côté, et saisit ses frêles mains entre les miennes.

« Madame, je vous prie, calmez vous! Cela n'a point d'importance. La mémoire vous reviendra; gardez simplement à l'esprit que je ne souhaite que vous venir en aide. »

Ses yeux se fichèrent dans les miens, en serrant mes mains.

« Monseigneur... L'unique souvenir qu'il me reste est mon prénom.

- Lequel est-il ?

- Léonor.

- Léonor. Un prénom assurément à nul autre pareil. Tout comme la jeune femme qui le porte. »

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Point de vue de Léonor

Un véritable coup de génie; tellement gros que c'était passé comme une lettre à la poste. Vieille comme le monde, la technique de l'amnésie me semblait bigrement efficace. Je n'aurai jamais imaginé qu'un tel seigneur se fasse si facilement berné par quelques courbettes et plombantes comédies. Autant utilisé cette crédulité à mon avantage, tant que le vent m'était favorable.
Me trouver en présence de cet homme, qui me rappelait à tous les instants mon agression, fût d'abord une épreuve extrêmement ardue. Avant de passer les portes de ce salon, je n'étais même pas certaine de pouvoir le regarder dans les yeux. Mais j'avais bien conscience que montrer de la faiblesse pouvait être fatale, peu importe dans quelle époque l'on soit; je devais donc garder bonne figure et octroyer le plus d'informations possibles.
En commençant par en apprendre le plus possible sur mon nouvel environnement.

« Je me retrouve véritablement dans l'embarras, Monseigneur, de vous poser cette question... En quelle année somme-nous?

- En l'an de grâce 1519, ma chère. Notre monarque, Sa Majesté François Ier, un cher ami depuis ma plus tendre enfance, règne en ces lieux depuis quatre ans, puisse Dieu lui accordé une longue vie. »


Tome I : L'émeraude de Saint LouisWhere stories live. Discover now