Chapitre 3

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Une chape de plomb semblait avoir été coulée sur ma tête durant la nuit. La lumière qui pénétrait à travers mes paupières m'étaient déjà insupportables. Mes pensées tourbillonnaient dans tous les sens, semblant s'amuser à jouer aux auto-tamponneuses à l'intérieur de ma boite crânienne. Hier soir... Oui, hier soir, j'ai bien accepté de servir de mouchard à d'Urfé. Mais pour qui t'es-tu prise, pensai-je, amère.

Je m'y voyais déjà, servant de vulgaire pâture aux rapaces que comptait la Cour de France. Alors comment espérer ne serait-ce qu'approcher ce satané Duc de Montmorency? Et comment diable allais-je pouvoir m'échapper de ce piège temporel?!
Je me redressai légèrement, portant mes mains à mes tempes, et fermai les yeux. Je respirai à fond. Une crise de nerfs était certainement la dernière de choses dont j'avais besoin, en plus de cette foutu gueule de bois, qui me lacérait mes cellules grises.

Après un long état comateux, je décidai enfin de prendre mon courage à deux mains et de me séparer de mon lit. Une robe de chambre, blanche et dentelée, était disposée sur l'un des fauteuils de la pièce. Je l'enfilai au dessus de ma chemise, puis marquai une pause. Etais-je prête à affronter la prochaine étape?

J'expirai longuement avant de m'asseoir sur le tabouret de la coiffeuse, et de me regarder dans le blanc des yeux. Et me promis de ne plus jamais abuser de cette manière de l'alcool. Non seulement il rendait mon faciès encore plus détestable; mais surtout, était dangereux pour moi et tous les secrets que je devais désormais soigneusement dissimuler. Je n'avais que de vagues souvenirs de la veille, mais je ne me rappelai que trop bien le nombre de fois ou ce liquide vicieux avait failli me trahir. Et je ne pouvais plus me permettre que cela arrive à l'avenir. Que ce soit pour cette fichue affaire d'espionnage ou ma quête vers ma pierre.


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Mathilde ne tarda pas à faire son apparition, un plateau dans les mains. Sans aucun doute mon - généreux - petit déjeuner. Elle s'inclina lorsque je posai mes yeux sur elle.

« Madame, je vous souhaite bien le bonjour.

- Bonjour, Mathilde. Comment allez vous? »

Et la jeune domestique se figea, interpellée. Je ne compris pas tout de suite son comportement ahuri.

Puis je me rappelai se que signifiait alors sa condition. Les domestiques n'était pas plus humains qu'un porte manteau, aux yeux des autres nobles. Elle ne devait surement pas être habituée à ce genre de considérations.
Je souris, encourageante. Elle dégluti.

« On ne peux mieux, Madame, finira t'elle par dire, mal à l'aise.

- Posez donc ce plateau ici. Merci. »

Mathilde s'empressa de le déposer sur le guéridon que je lui avais désigné.

« Souhaitez vous que je vous fasse parvenir le bain, Madame? »

J'acquiesçai silencieusement, en saisissant une pâte à choux. Je l'engloutis en un instant, tout en faisais un tour de la chambre.

Elle était si spacieuse que je n'avais pas remarqué que, dans un recoin, une porte se dessinait. Je m'en approchai, et rapidement, l'ouvrit. Un cabinet m'attendait de l'autre côté du passant, assez confiné.
Un petit secrétaire était installé au milieu de la pièce; une épaisse bibliothèque grignotait tout un pan de mur, et quelques fauteuils et méridiennes. Je m'assis sur le tabouret du secrétaire. Quelques papiers manuscrits jonchaient le bureau. Des essais de poèmes, pour la plupart. Mais une partie du secrétaire était fermé sous clés. Je tentais de forcer l'habitacle en plastique, mais en vain. Que pouvait il bien contenir...?

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Mon exploration fut écourtée par l'entrée de Mathilde et d'une petite farandole de domestiques, chargés d'une grande baignoire, munie de quatre « pattes », semblable à celles d'un lion, faites d'or. On me la posa, puis la rempli d'eau chaude et d'eau de rose. Et très grand luxe, une bassine de lait d'ânesse restait à ma disposition, si je souhaitais l'ajouter à mon bain.
Mathilde m'aida à me déshabiller. Sa présence permanente lors de mes moments les plus intimes me gênais, bien sûr, mais cela était un devoir qu'elle devait remplir, et il me fallait bien l'accepter. Je me glissais dans l'eau fumante, le parfum délicat de la rose taquinant mes narines. Je fini par demander à Mathilde d'ajouter le lait d'ânesse, qui caressa délicieusement ma peau. Je restai longtemps dans l'eau, plongée dans mes pensées, et particulièrement dans une mer d'interrogations. A qui appartenait ce secrétaire? Où se trouvait sa clé? Quels secrets recelait il?

Au bout d'une demi heure, un domestique passa la porte de ma chambre. Mathilde s'empressait de le rejoindre afin de savoir de quoi il s'agissait. Au bout de quelques minutes, elle revint à moi.

« Un billet pour vous, Madame. »

Elle me le tendit. Je dépliai le papier. L'écriture était cursive, très dansante.

« Très chère cousine,

Retrouvez moi à quatorze heures dans le vestibule.

Claude. »


Je tendis la petite missive à Mathilde, lui demandant le soin de la ranger dans le tiroir de ma coiffeuse. Je sortis ensuite de l'eau, m'enveloppant d'un linge épais pour me sécher. Mon regard s'attardait sur l'horloge à pendule suspendue sur le mur. Le cadran affichait les coups d'onze heures. Il était grand temps que je me prépare.

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Après près d'une heure et demi, j'étais habillée et coiffée. Cette fois-ci, ma coiffure - bien que travaillée - était plus simple. Je m'observai dans la glace, ne pouvant qu'admirer la beauté et la magnifique facture de ma robe. Elle semblait glisser sur ma silhouette, soulignant élégamment mes formes, et s'épanouissant en forme conique jusqu'à mes pieds. Les tissus variaient entre le bleu ciel et le blanc immaculé, ornés de broderies de fleurs rouges et de noeuds de soie bleu.
Une rivière de perles couvrait ma gorge, et Mathilde avait insisté à attacher une partie de mes boucles avec un ruban de soie.
J'espérais secrètement que tout cet embellissement me permettrai de prendre un peu de confiance en moi, afin de pouvoir affronter les combats qui m'attendaient.

Quatorze heures arriva rapidement. J'invitai Mathilde à prendre congé, puis quittais ma chambre. J''ignorais ce qui m'attendais, en bas, après avoir passer le vestibule en compagnie du seigneur; ainsi ce qui se cachait dans ce mystérieux secrétaire; je me promis juste que, peut importe ce qu'il adviendrait, j'irai de l'avant et j'agirai pour moi avant tout.

Je passais la porte du vestibule. L'homme était là, assis sur l'un des fauteuils qui décorait l'entrée, quelques papiers à la main. Ce que je qualifierai de béret couvrait ses cheveux bruns, orné d'une plume blanche. Son costume était d'une richesse peut commune; des fils d'or étaient brodés sur des étoffes noires. Une épaisse cape assortie était posée sur ses larges épaules tandis q'un imposant collier d'or habillait le tout.
Il levait les yeux vers moi et se levait promptement. Tout en souriant, il s'empara de ma main, et en embrassa le dos.

« Léonor, quelle délicieuse ponctualité! J'espérais que vous accepteriez m'accompagner à la chasse. »

Un coup de chaud monta, rendant mes joues roses.

« Monseigneur, je ne sais pas...Monter? »

Claude, qui était totalement calme, rit soudain franchement.

« Ma chère, il n'est pas question ici que vous montiez. C'est une affaire d'hommes! Non, vous pourrez vous installer sur la grande terrasse, en compagnie de ces autres dames, et admirer la chasse. »

Je soupirai de soulagement. Toujours rieur, d'Urfé m'offrait son bras.

« Vous êtes d'une compagnie très distrayante, chère cousine. Allons, je ne souhaiterai pas manquer de temps pour vous présenter à quelques personnes. »



Tome I : L'émeraude de Saint LouisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant