Sam était un bon gars et comme tous les bons gars, il n'aimait pas l'idée qu'un fou rode dans les bois. Ça en faisait presque l'ennemi naturel du fou, mais en ces heures sombres, il pouvait comprendre l'importance d'avoir sa coopération. Alors, Marc et Sam avançaient ensemble à travers le petit sentier. Ils s'étaient garés le plus près possible de chez le fou. Ça laissait une sacrée trotte depuis la route.

Marc alla jusqu'à un arbre tordu, avec deux branches lourdes, qui leur barrait le chemin. Autour de ses racines épaisses, il y avait deux sentiers légers. Marc les guida sur l'embranchement le moins large. On aurait pu croire à une piste souvent pratiquée par du petit gibier. Le sentier semblait presque disparaître par ici car le fou n'était pas bête. Il entretenait les fausses pistes, pendant que le chemin menant à sa cabane était bien planqué. La première fois, Marc y était arrivé par hasard d'ailleurs, comme tous ceux qui avait un jour trouvé l'emplacement en question.

Ils continuaient d'avancer d'un pas prudent. Marc avait toujours peur que le fou ne finisse par installer des pièges. Pour le moment, ce n'était pas le cas, mais il préférait ouvrir l'œil. Le long d'une pente qui se faisait de plus en plus brute, Sam crut qu'ils s'étaient perdus, mais il continua à suivre son collègue en qui il avait pleinement confiance. Ils longèrent cette pente qui paraissait impraticable. Là, ils se retrouvèrent face à plusieurs arbres très gros et pleins d'épines qui leur cachaient la vue, et pourtant la petite clairière était juste là derrière.

Marc s'arrêta une seconde et énonça d'une voix forte :

- Hank, c'est Marc. Je suis avec Sam. Nous ne venons pas chercher les ennuis, mais j'ai à te parler. Nous allons nous approcher. Nous parlerons. Puis nous repartirons.

Il attendit, quelques secondes de plus devant l'air médusé d'un Sam qui se demandait si la folie était communicatrice en ces bois. Il finit par décider que Marc savait sans doute mieux y faire que lui avec les cinglés alors préféra s'abstenir de tous commentaires. De toute façon, il avait trop de respect pour son supérieur et ami pour lui dire quoique ce soit.

N'entendant aucun coup de feu qui aurait été une réponse claire de son refus de parler, Marc reprit son chemin et se faufila entre les deux grands sapins. Les deux seuls arbres dont les épines ne leur déchireraient pas la peau. De l'autre côté, il observa la cabane rudimentaire de l'homme. Pas d'eau courante. Pas d'électricité non plus. La cabane semblait être faite de bric et de broc, mais elle tenait debout.

Parfois, Marc ramenait des choses pour la restaurer, c'était ces faveurs qui l'avaient partiellement mis dans les bonnes grâces du fou. Il payait régulièrement pour pouvoir lui parler, même si ce n'était que quelques mots. Même si ce n'était que pour vérifier que rien n'avait changé. Même si ce n'était que pour entretenir l'habitude de venir. Même si ce n'était que parce que l'hiver, plus rude que les précédents, risquait d'emporter la vie du fou. Il trouvait bien des occasions de lui ramener des choses et de faire du troc. Hank n'acceptait pas les cadeaux, il fallait trouver des parades.

- Pourquoi il est là lui !?, cria le fou depuis un coin de sa cabane.

Sam eut envie de reculer en apercevant le fusil entre ses mains ou au moins de saisir sa propre arme. Marc l'avait prévenu et lui avait demandé de ne pas le faire, alors il prit sur lui, le cœur battant à mille à l'heure. Il savait reconnaître le danger et là, il était en danger.

Marc, de son côté, eut presque envie de sourire. Il l'aurait peut-être fait si l'heure n'était pas aussi grave. L'idée d'être assez accepté par cet ermite pour qu'il tique davantage sur la présence de Sam, c'était plutôt gratifiant. Un peu cruel pour Sam qui devait énormément stresser, mais gratifiant quand même.

Doucement, il expliqua :

- Nous devons parler.

- J'ai rien à dire. Dégagez !

- D'accord. Nous allons partir. Mais si on fait ça, y'a du monde qui va venir de ce côté-ci de la montagne et ... je me suis dit que tu préférerais l'éviter.

Il y eut une seconde de silence, avant que la voix nouée par l'angoisse de Hank ne retentisse de nouveau.

- Des gens ?

- Ouais, pleins de gens.

- Mais pourquoi ?

Personne ne venait jamais par ici. C'était une règle presque immuable. Parfois un inconnu, un imbécile de la ville, franchissait ses arbres, mais c'était rare et le plus souvent il pouvait le chasser. Il y avait de rares exceptions comme Marc. Mais pourquoi pleins de gens viendraient-ils ? Ses bois, ils s'en foutaient !

- Y'a une gosse qui a disparu. Du côté de Norsfolk. Ca fait un bail, mais les enquêteurs pensent qu'elle a été enlevé et ... relâchée ... dans les bois. Ils la cherchent à travers toute la forêt.

Hank affirma, sans la moindre émotion :

- Elle est pas ici.

Dans sa tête, son affirmation suffisait. Dans sa tête, voilà qui venait conclure la conversation. Marc pourrait repartir, avec l'intrus qui l'accompagnait. Il pouvait repartir et dire aux gens que ça ne servait à rien de venir. Comme ça, personne ne viendrait et tout irait bien. C'était d'une logique imparable, mais le visage de Marc ne se tordit pas de soulagement. Il ne semblait pas prêt à partir. Hank vacilla légèrement sur ses pieds. Il ne voulait pas en parler d'avantage. Il voulait qu'ils partent à présent.

Il faillit leur dire que c'était le moment de partir, mais il se retint. Marc allait encore parler. Il n'allait pas aimer, mais il ne pouvait quand même pas tirer sur Marc ? Non. Non, ce ne serait pas bien. Sur l'autre, il pouvait, mais sur Marc ... Non. 

L'homme de la montagneWhere stories live. Discover now