Chapitre IV

14 0 0
                                    

 Ô toi, mon fils, traverse monts, mer et forêts

 Mais toujours garde le parchemin fermé

Ô toi, mon fils, les ombres te suivent et te sondent

Car , en toi, tu portes les larmes du monde

Ta mère, l'Aurore, t'en conjure

Arpente les troubles profondeurs,les sommets parjures

 Cours jusqu'à la déraison, jusqu'à la folie cruelle

Car tu es la Sentinelle.

Combien de fois le vieux maître Melydiod avait fait répété ce poème à Ezyr durant sa formation ? Lui qui ne se souvenait même plus de son ancien nom, aurait pu répéter à l'envers comme à l'endroit ces paroles qui l'avaient tant torturés. Cela devait bientôt faire 3 ans qu'il courait sans relâche sur la route du grand Cercle. Il ne tarderait pas à faire une pause. Ezyr repensa à son vieux maître une nouvelle fois :

- "Tout de même, vous auriez pu faire une carte...y a des jours, c'est franchement pas facile de retrouver le grand Cercle", se dit-il en regardant, sur le rebord, la falaise se jetait dans le vide. "Tout a pas mal changé par là, avant, il n'y avait âme qui vive à des kilomètres à la ronde", pensa-t-il en voyant au loin une lourde fumée fuir de nombreuses petites cheminées au loin, au revers de la montagne opposée, encore cachée par le voile de la nuit. Un être humain n'aurait pu la voir, lui il le pouvait.

A ce moment là, il se situait sur un des sommets du Mount Harper dans le Canada. La route lumineuse continuait droit devant lui jusqu'à l'horizon à peine naissant. Des aurores boréales étaient parsemées partout au dessus de sa tête.  "Aurora, une nouvelle fois, tu m'accordes ta bénédiction, guide moi sur le grand chemin éternel." se mit-il à prier en regardant les aurores boréales serpentaient au dessus du ciel à peine bleutée. Il décida de s'arrêter un bref instant afin de célébrer la naissance du jour. Il s'assit sur le seul rocher possible, située en amont d'une gigantesque plaque de verglas. Cela lui faisait toujours drôle de voir son pied arrêté. Même immobile, il ressentait encore toute l'énergie de son corps en mouvement. Il ramena à lui ses jambes, les mit en tailleur. Au même moment ou il fit cela, le rocher commençait déjà à se fissurer à l'extrémité de son dos, là ou se situait le bout de son étui portable.

- Eh bien, dans moins de 10 minutes ce rocher aura implosé...décidément ce parchemin ne me laissera jamais tranquille ...

Il leva  une nouvelle fois la tête pour pouvoir profiter de l'éclat céleste. Il remarqua alors que les étendues de couleur chatoyantes convergeaient toutes vers un unique point ou il pouvait voir trois étoiles, à sa grande surprise. Puis les trois étoiles partirent chacune dans une direction opposée, suivies des aurores boréales, qui déjà s'évanouissaient dans l'éther. Il ne resta alors plus que le ciel matinal, azur et lumineux, qui faisait déjà écho à la verdure de la gigantesque plaine qui s'étalait négligemment jusqu'à l'horizon, au pied des montagnes.

Ezyr, qui était encore abasourdi parce ce qu'il venait de voir, se releva juste à temps de son siège de fortune, avant que celui-ci vienne à se dilater complètement. 

- Alors le troisième Sentinelle vient de se réveiller, pensa-t-il à voix haute. Mère Aurora a décidé qu'il était donc temps ! Il ne me reste plus qu'à me mettre en chemin pour les retrouver, si je compte bien, cela nous donne : un à l'est, un au sud...et un à l'ouest répéta-il lentement en regardant ses 3 doigts. Le voyage sera long, il me faut des provisions. 

Le porteur du rouleau , comme pour s'en convaincre lui-même, porta un regard vers sa besace, qui était presque à hauteur de ses genoux.  Alors qu'il descendait le flanc raide de la montagne, avec une étonnante rapidité, il se demanda si il ne devait pas aller remplir sa sacoche auprès d'une boutique d'un commerce de cette petite ville qui s'offrait à lui au loin. La légère émanation vaporeuse qui se dégageait de sa bouche, à chaque exhalation semblait répondre aux lointaines fumées urbaines. Il continua sa descente en esquivant les différents rochers. La pente escarpée offrait quelques points de répits sur lesquels Ezyr freinait simplement, déjà trop entraînée par sa course. Il se servit même d'une souche laissée à la lisière d'un petit bois, comme d'un promontoire afin de gagner encore plus d'élan dans sa chute. Il arriva enfin sur les dernières déclivités rocheuses ou déjà apparaissait un mince cour d'eau dominé par une grande rangée de sapins.   

La communauté humaine devait se trouver à 5 ou 6 kilomètres. Cela valait-il le coup de tenter sa chance dans un de leurs magasins ?  Ezyr hésitait véritablement. Déjà qu'il n'avait pas vraiment de monnaie, mais plutôt des objets, souvent précieux, qu'il trouvait au cours de sa course, et qu'il utilisait pour troquer avec des vivres, son apparence n'améliorait pas les chose. Autrefois, les marchands étaient plus réceptifs, plus intéressés par la bonne affaire, et surement moins scrupuleux. C'était de ce fait, plus facile de troquer sans attirer l'attention sur soi. Depuis presque 300 ans, non seulement  il était devenu beaucoup plus difficile de chasser les animaux sauvages ( qui devenaient de moins en moins fréquent), mais il devenait aussi presque impossible d'échanger les bibelots qu'il récupérait en chemin . A ses débuts, lorsqu'il entamait encore le premier cycle, les gens ne se souciaient guère de son apparence atypique, mystérieuse. Il avait pris l'habitude, dès le premier jour où il avait du porter le parchemin, à se dissimuler derrière un long manteau noir encapuchonné. A partir, environ, du troisième cycle du deuxième millénaire,  les rues des villes se sont mises à être éclairées jours et nuits, les individus à réclamer des papiers d'identités, les allées et venues à être de plus en plus contrôlées...Si bien qu'Ezyr avait rompu tout contact depuis bientôt 200 ans avec les plus grandes villes du monde et ne fréquentaient plus que les petits hameaux, les agglomérations les plus proches des grands espaces naturelles. Son contact avec l'être humain se délitait au fur et à mesure des jours.

Pourtant il allait devoir faire ce nouvel effort une dernière fois. Le troisième Sentinelle l'attendait et il était de son devoir d'en assurer la formation. Ezyr constata que son souffle était redevenu quasiment régulier, c'est à dire presque inerte. Alors, il éclaircit sa voix d'où y sortit un son rauque. Plutôt fier de sa manœuvre, il se décida à rejoindre le village, espérant y trouver son salut.

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Apr 02, 2018 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

Pièces détachéesWhere stories live. Discover now