Dixième bonbon - 1/1

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Laè poussa la porte fenêtre en faisant attention à ne pas la laisser grincer. Il faisait nuit noire, mais ses yeux s'étaient accoutumés à l'obscurité. Pieds nus dans l'herbe verte, il referma avec soin avant de s'avancer au milieu de la pelouse, s'éloignant de la maison pour regagner une prairie déserte. Les cheveux défaits et libres sur ses épaules, il avait échangé avec plaisir ses vêtements élégants contre une tunique de laine brodée. Il s'y sentait beaucoup moins à l'étroit et dans l'air frais de la nuit d'été, elle n'était pas de trop pour le protéger de la brise.

Loin de toute pollution lumineuse, les étoiles étaient nombreuses et le ciel dégagé. Laè s'installa dos à un petit bosquet d'arbre pour les observer, pas très loin de la rivière. Il y avait presque autant de lumière dans les airs que sur le sol. L'herbe était constellée de lucioles qui prirent leur envol en le sentant approcher, flottant autour de lui en illuminant les alentours d'une lueur dorée.

C'était l'une des choses qui lui manqueraient le plus, à Fancy Candies. Les petits coins de paradis qu'on pouvait savourer seul, en s'esquivant au milieu de la nuit, quand les autres dormaient déjà ou ne travaillaient pas encore. Mais il savait aussi qu'il y avait d'autres endroits à découvrir, dehors. Tout un tas de lieu où il n'avait jamais été. Où il n'aurait jamais eu envie d'aller si par une nuit comme celle-ci, bien des années plus tôt, on ne lui avait dérobé sa précieuse peau.

Laè poussa un soupir et s'assit en tailleur dans l'herbe fraiche. Il n'avait pas froid sous sa tunique et il faisait un temps idéal pour rester dehors, au milieu des lucioles. L'alcool y était peut-être pour quelque chose. Il avait un peu trop bu à la soirée et la tête lui tournait encore, sans que ce soit vraiment gênant. Juste une sensation de légèreté et d'euphorie passagère, doublée d'une agréable chaleur sur les joues. Il ne savait pas si la fête était vraiment finie et si tout le monde était parti. Il lui semblait encore entendre des bruits mais il était persuadé que ce n'étaient que des réminiscences de la soirée passée, les fantômes des rires et des bruits de verres qui revenaient lui tourner dans la tête, au milieu du silence de la nuit.

Le selkie ferma les yeux, et inspira profondément.

Il avait fait de son mieux pour ne pas paraître troublé lorsqu'il avait pris la parole devant tous les invités. Ce n'était de toute façon par leurs réactions à eux qu'il l'inquiétait le plus. Celles de ses camarades l'avaient beaucoup plus fait hésiter.

Certains n'avaient pas eu l'air plus surpris que ça, voire presque contrarié, comme Elendil qui avait froncé ses élégants sourcils. D'autres, comme Bernabé et Lotis, avaient encaissé l'annonce avec étonnement. Mais ils l'avaient sans doute vu venir, et lui avaient adressé un regard compatissant pour le soutenir dans sa décision. Quant à ceux qui avaient dû être les plus secoués, Laè avait fait de son mieux pour ne surtout pas les regarder. Il s'était retenu de chercher Purr des yeux dans la foule réunie autour de lui.

Le loup-garou était sans doute celui qui aurait le plus de mal à comprendre.

Il y avait pourtant peu de chances que Laè revienne sur sa décision. Cela faisait des semaines qu'il y réfléchissait et il ne retournerait pas en arrière.

Il se mit pensivement à jouer avec les brins d'herbe, les frôlant de sa main comme on caressait le pelage d'un animal.

La nature l'avait beaucoup émerveillé, quand il avait commencé à explorer le vaste monde. La verdure variée et luxuriante qu'on ne voyait jamais en bord de mer, où les arbres devaient être forts pour affronter le vent et le sel.

Seul et perdu dans ce vaste monde terrestre dont il ne connaissait rien, les premiers mois passés à la recherche de sa peau avaient été un mélange d'angoisse, de confusion et d'émerveillement permanent. Dès son arrivée, la maison avait été pour lui un rocher auquel se raccrocher dans la tourmente, un repère stable pour apprivoiser cette nouvelle vie. Les premiers temps, il s'y était senti bien, tellement qu'il avait peu à peu perdu l'envie de chercher sa peau. Il y avait toujours de nouvelles choses à découvrir, et des dizaines de rencontres à faire. Il y avait parmi ses clients des gens qui aimaient l'écouter jouer de la musique, des poètes, des gens raffinés, qui savaient tellement de choses. Et d'une sensualité...

Fancy CandiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant