Troisième bonbon - 5/5

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Mordigann ne releva même pas la tête lorsqu'il entendit Elendil entrer dans son bureau. Il s'était attendu à voir l'elfe débarquer sitôt son altercation avec Laè terminée.

Elendil était égal à lui-même, éblouissant dans sa tenue élégante, aussi brillant que le soleil qui frappait contre les carreaux de ses fenêtres. Mais beaucoup plus empoisonné.

– Tu as été généreux avec Laè, dit-il en contournant le bureau massif. Est-ce qu'il commence à te faire peur, à force d'oser te tenir tête ?

Mordigann leva les yeux au ciel. Ceux d'Elendil étaient posés sur lui, étrangement lumineux. C'était peut-être son sang d'elfe qui lui donnait cet incroyable regard couleur lagon, mais s'il avait été humain, Mordigann y aurait sans doute succombé quand même. Ce n'était pas tant leur éclat que la façon qu'avait Elendil de l'observer, d'un regard aussi intense que pénétrant. En fait, parfois, ses yeux parvenaient même à le mettre mal à l'aise.

Alors il les évitait.

– Il n'y a que vous deux qui n'avez plus de dette à rembourser, plaida-t-il sobrement.

Mordigann recula sa chaise pour permettre à Elendil de grimper en travers de ses cuisses. L'elfe le chevaucha avec une moue malicieuse, serrant ses jambes fermes autour de lui. Il portait une splendide chemise en satin écru et un gilet de brocard bleu, qu'il pressa entre ses doigts pour serrer la taille souple de l'elfe. Le roi Elendil, comme se moquaient souvent les autres pensionnaires. Toujours flamboyant, avec ses vêtements élégants et ses bijoux elfiques.

– Comme si les autres étaient tes otages... se moqua-t-il de sa voix aussi suave qu'acérée.

Les arguments de Mordigann semblaient toujours l'amuser. Mais il devait reconnaître qu'Elendil avait raison. Ils n'étaient pas humains. Pour des créatures comme eux, quelques années de dettes ne représentaient rien. Tous les pensionnaires étaient là de leur plein gré. Inari faisait même exprès de changer la décoration de sa chambre toutes les semaines, pour alourdir sa dette et avoir une excuse pour rester plus longtemps

– Laè à l'impression de l'être, répondit Mordigann en se laissant aller dans son grand fauteuil. Ce n'est pas la première fois qu'il m'accuse d'avoir volé sa peau. Il va finir par s'en persuader...

Elendil leva les yeux au ciel d'un agacé. Il n'aimait jamais quand les autres faisaient leur crise. Il préférait être la seule diva de la maison, les choses étaient plus simples et sa réputation en restait intacte.

– C'est parce qu'il commence à comprendre qu'il ne la retrouvera jamais. Il l'aurait retrouvée depuis longtemps si quelqu'un l'avait encore...

«... à moins que ce soit vraiment toi qui l'ait cachée quelque part », semblait ajouter son regard brillant. Mais Elendil se garda bien de le dire à voix haute. Il était bien placé pour savoir de quoi Mordigann était capable pour s'approprier quelque chose. Ou quelqu'un. Mordigann ne s'en était jamais caché.

Promptement, Elendil s'empara de la grande main qui était posée contre ses reins, et la força à descendre un peu plus bas sur sa croupe.

– Je te dois quelque chose... souffla-t-il tout bas contre les lèvres de son patron. Je me suis dit que c'était le bon moment. On dirait que tu as besoin de te changer les idées...

Pour une fois, Mordigann resta de marbre, étrangement las. Il n'avait même pas la force de tendre la main pour attraper une nouvelle cigarette. Il en mourrait d'envie, pourtant, bien plus que de l'écrin brûlant du corps d'Elendil.

L'elfe s'en rendit compte et se recula d'un air perplexe.

Pour toute réponse, Mordigann se redressa sur son fauteuil et souleva une pile de papiers posée sur le bureau. Il en tira une enveloppe décachetée, qu'il tendit à Elendil.

Celui-ci l'ouvrit après une petite hésitation, non sans jeter à son patron un regard curieux. Il en sortit une lettre noire, calcinée, qui craquait sous les doigts et semblait menacer de s'effriter. Elle était traversée par une écriture blanche, comme si on avait écrit avec de la cendre sur un sol brûlé.

Les yeux d'Elendil s'écarquillèrent un instant. Il n'avait sans doute pas besoin de lire la signature. Le papier noir et l'encre cendreuse valaient tous les paraphes du monde. Il se força malgré tout à lire en diagonale le contenu de la lettre, la belle écriture sage et policée qui pouvait pourtant annoncer les pires horreurs possibles.

Son visage solaire ne trahit pas la moindre expression, et il replia même soigneusement le papier avec un sourire un peu moqueur. Mais ses doigts fébriles n'échappèrent pas à Mordigann.

– ... il a du retard. Je pensais qu'il avait fini par oublier.

– Un croque-mitaine n'oublie jamais, souffla Mordigann, l'esprit ailleurs.

Elendil jeta l'enveloppe sur le bureau comme si elle lui avait brûlé les doigts. Il préféra se couler contre le corps de son patron. Il enfouit ses doigts fins dans les cheveux bruns de Mordigann, jouant avec les mèches couleur chocolat, caressant la nuque qu'il savait sensible. Il mordilla malicieusement le lobe de son oreille, arrachant à peine un frisson à son propriétaire impassible.

Les mains de Mordigann se firent pourtant un peu plus présentes sur la chute de ses reins. Pas si las que ça, après-tout. Il avait plus besoin de se changer les idées que ce qu'il voulait bien avouer. Elendil ricana.

– Peut-être que je ferais mieux d'aller travailler, au lieu de rester avec toi... Je n'ai pas envie que tu me donnes à manger au croque-mitaine...

– Jamais, gronda aussitôt Mordigann d'un air farouche.

Comme électrisé, il s'empara d'une poignée de longs cheveux de soie pour presser la bouche d'Elendil contre la sienne.

L'elfe en ronronna de plaisir, avalant goulûment la langue de son patron entre ses lèvres chaudes.

Mordigann était aussi possessif que jaloux. Il fallait vraiment être dans une impasse pour passer un pacte avec une créature aussi dangereuse qu'un croque-mitaine. On disait qu'il n'y avait rien de pire qu'eux, dans tout le monde magique. Ils donnaient même des cauchemars aux cauchemars.

– Je ne le laisserai jamais te prendre, répéta Mordigann dans un souffle, un éclat sévère dans ses yeux noirs. De toute façon, ce n'est pas dans le contrat.

Elendil éclata de rire, mais ne put faire passer le frisson désagréable qui lui picota l'échine. Il était le seul au courant du pacte que Mordigann avait passé, et de ses conditions particulières. Il était le plus ancien à travailler là. Il avait assisté le patron dans toute la création de la maison. Et il était présent, le jour où Mordigann avait signé son contrat avec le croque-mitaine.

– Il n'est pas encore là, dit l'elfe en haussant les épaules, brûlant de passer à autre chose. Ne pense pas à lui. Profite plutôt de moi...

Elendil caressa la mâchoire de Mordigann avec un sourire suave, ses lèvres frôlant les siennes comme une tentation. Mordigann ne mit pas longtemps à y succomber. Il se disait peut-être que le corps souple de son favoris réussirait en effet à lui faire oublier l'échéance à présent toute proche.

« Tous les dix ans, tu devras me donner celui de tes pensionnaires qui te rapporte le moins. Ce n'est pas cher payé pour une jolie maison et un bout de terrain. Non ? »

Fancy CandiesOnde histórias criam vida. Descubra agora