Chapitre 8

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Conrad l'exhorta à avancer vers la trappe et ils descendirent les marches à pas lents. Le tunnel dans lequel ils évoluaient maintenant était creusé à même la roche. La chaleur était étouffante, mais Abraham ne semblait pas gêné le moins du monde. Il affichait toujours un regard serein, ce qui ne manquait pas de troubler Conrad. Sa curiosité le perdrait, il le savait, mais une lueur dans les yeux du vieux l'incitait à continuer.

Ils finirent par déboucher sur une porte massive, flanquée de deux bougies qui émettaient leur halo de lumière sur les murs de granit. Abraham s'avança, suivi de près par Conrad, et frappa contre le battant. Le contrebandier entendit de l'agitation derrière la porte, et serra un peu plus le bras du vieillard, qui grimaça de douleur.

La porte s'ouvrit lentement, dévoilant une pièce meublée d'une petite table en bois et de quelques tabourets. Quatre hommes étaient assis sur ces chaises de fortune et semblaient avoir été, un instant plus tôt, plongés dans une intense partie de poker. Pour l'heure, tous s'étaient retournés et fixaient le nouveau venu d'un œil mauvais. Un cinquième homme se tenait adossé au mur du fond et se redressa à la vue d'Abraham. La jeune femme qui venait d'ouvrir la porte fit un signe de la tête pour les encourager à entrer. Conrad releva son revolver pour le placer sur la tempe de son otage, bien en évidence, mais aucun des individus présents dans la salle ne parut s'en soucier. Lentement, ils pénétrèrent dans la pièce.

« Je pense que vous pouvez poser votre arme, mon ami. Nous ne vous ferons aucun mal. »

C'était la femme qui venait de parler. Elle avait refermé la porte derrière Conrad, et se tenait à présent à sa droite. Il en profita pour la détailler : sous son béret noir, des cheveux d'un roux chatoyant retombaient sur un visage rond, dont les yeux noisettes faisaient ressortir le teint pâle. Des lèvres pulpeuses et un petit nez retroussé venaient compléter le tableau, duquel le jeune homme ne pouvait plus se détacher. Il en oubliait presque l'urgence de la situation, jusqu'à ce qu'un raclement de gorge forcé le ramène à la réalité.

« Que me voulez-vous ? demanda-t-il.

— Simplement vous parler. C'est dans votre intérêt. »

Conrad lâcha le bras d'Abraham, tout en gardant le revolver pointé vers l'assemblée. Le vieil homme alla s'assoir sur un des tabourets encore disponibles.

« Ça va, Abe ? demanda la rousse, visiblement inquiète.

— Ne t'inquiètes pas pour moi, ma chérie. Occupe-toi plutôt de notre invité. »

Les quatre hommes attablés avaient repris leur partie, et le cinquième allumait tranquillement un cigare, lorgnant en direction de la porte. La femme tendit à Conrad une main ferme et assurée.

« Enchantée, je m'appelle Anna.

— Conrad, répondit celui-ci, légèrement embarrassé.

— Comme je vous le disais, nous écouter est dans votre intérêt. Nous avons besoin de votre aide et vous avez besoin de la nôtre.

— Je ne crois pas avoir demandé de l'aide, à ce que je sache.

— Pour l'instant peut-être, mais vous allez vite changer d'avis. Cloîtré dans votre vaisseau, au milieu du vide intersidéral, vous n'avez aucune idée de ce qui se passe dans la Galaxie, je me trompe ?

— Il se passe quelque chose en particulier ?

— Ils arrêtent les contrebandiers. »

Il fallut quelques secondes à Conrad pour assimiler l'information. Anna, elle, ne bronchait pas.

« Ils ? Qui ?

— L'Empire. Pourquoi ? Je ne sais pas. Quoiqu'il en soit, plus aucun contrebandier ne peut se poser sur une planète sans être arrêté et déporté on ne sait où.

— Je n'ai eu aucun problème à atterrir, pourtant. »

Son histoire ne tenait pas la route. De toute façon, comment une bande d'ouvriers des bas-fonds de Protéa pouvait avoir accès à ces informations ? Il n'aimait pas perdre son temps, et encore moins être pris pour un idiot, et il avait la désagréable impression que les deux arrivaient en ce moment.

Des coups acharnés contre la porte interrompirent ses réflexions. Abraham s'empressa d'aller ouvrir, découvrant Megan, le visage ruisselant de sueur.

« Abe ! Ils arrivent ! » s'exclama le jeune garçon, la voix tremblante.

« Restez tous ici ! Toi aussi, Megan ! » vociféra Abraham, en remontant quatre à quatre les marches de l'escalier.

Les joueurs avaient stoppé net leur partie. Le fumeur de cigare s'était empressé de l'éteindre sous ses pieds, et agrippait désormais un fusil laser semblant appartenir à un autre âge. Tous retenaient leur respiration, comme s'ils attendaient un signe pour recommencer à vivre. Du brouhaha se fit entendre au-dessus de leurs têtes. Le patriarche semblait être aux prises avec un groupe d'hommes. Des bruits de meuble qu'on déplace, du verre brisé – mon alcool... quel gâchis, maugréa intérieurement Conrad – puis un cri étouffé. Megan fit un pas vers la porte mais Anna lui intima de rester à sa place.

Ils attendirent encore quelques minutes après que le silence soit revenu pour souffler. Abraham redescendit lentement, soutenu par Megan et un des ouvriers qui étaient remontés pour l'aider. Son visage était tuméfié, du sang perlait de son arcade sourcilière. Il tenait à la main un papier chiffonné qu'il remit à Conrad lorsqu'il passa devant lui. Sur le feuillet, on distinguait nettement le visage du contrebandier.

« Ils vous cherchent », souffla-t-il avant de s'évanouir.


La révolte des mondesWhere stories live. Discover now