Chapitre 4

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Un vague déclic se fit entendre dans le cockpit lorsque le vaisseau s'arrima enfin à la plateforme. La descente n'avait pas été de tout repos pour Conrad, car le spatioport semblait en effet en état de siège. Des convois militaires allaient et venaient dans un ballet incessant, tandis que de nombreux véhicules touristiques étaient arrêtés en plein milieu de la station, attendant d'être contrôlés par les forces de sécurité. Il avait dû à plusieurs reprises effectuer des manœuvres périlleuses pour ne pas s'encastrer dans un vaisseau qui venait subitement de changer de trajectoire. On donne vraiment le permis à n'importe qui de nos jours.

À peine avait-t-il atterri qu'il envoya un message à son client du jour :

Vous ne m'aviez pas prévenu qu'il faudrait que je me pose. Cela vous coûtera plus cher, je le crains.

La réponse ne se fit pas attendre :

Je m'en doute. Veuillez vous rendre à mon adresse, je vous prie. J'ai fait le nécessaire auprès des autorités afin qu'elles vous laissent passer sans encombres. Bien entendu, je vous paierai un supplément pour le déplacement.

J'ai intérêt à me faire payer double pour cette livraison, maugréa Conrad en se dirigeant vers la soute. Il n'avait pas pour habitude de se plier aux exigences de ses clients mais cela faisait un mois qu'il n'avait pas eu de contrat, et un peu de crédits supplémentaires ne feraient pas de mal. Il entreprit de rassembler les caisses de marchandises, puis ouvrit les portes du sas arrière. Un vent tiède s'engouffra dans le vaisseau, et Conrad se sentit tout à coup plus détendu, serein, presque euphorique. Il fouilla dans la poche de son blouson et en sortit une petite boule gélatineuse qu'il posa sur son nez. Aussitôt en contact avec sa peau, la matière visqueuse se mit à se déformer et s'allonger pour englober complètement le bas de son visage, épousant parfaitement la forme de son nez et de sa mâchoire. Ce masque biologique était l'un des seuls bio-organismes extraterrestres qui avait été préservé par l'Homme au cours de son expansion. Il permettait à la fois de filtrer les microparticules présentes dans l'air ambiant, mais il pouvait aussi synthétiser de l'oxygène à partir de l'azote, ce qui avait considérablement augmenté le nombre de planètes potentiellement habitables.

Pour l'heure, il protégeait surtout Conrad des effets des endorphines diffusées en permanence dans l'atmosphère de Protéa. Officiellement, ces molécules avaient pour but « d'améliorer l'expérience ressentie lors des activités », mais des études avaient démontré qu'elles créaient en réalité une légère dépendance qui facilitait – pour ne pas dire forçait – la fidélisation de la clientèle.

Il sortit du sas et referma la porte derrière lui, puis grimpa les marches menant au poste de douanes. Un officier en uniforme l'accueillit avec le sourire, mais ses yeux se posèrent instinctivement sur le paquet que tenait le jeune homme.

« Qu'est ce qu'il y a là-dedans ? demanda-t-il vivement.

— C'est un cadeau pour un ami à moi. De l'aspartame de qualité, ramené d'un de mes voyages », répondit Conrad.

Il n'avait pas prévu de devoir mentir aujourd'hui, mais il savait garder son sang-froid dans ce genre de situations. L'officier le regardait maintenant d'un œil circonspect.

« Ça vous dérange si je jette un œil à l'intérieur ? »

Sa question n'en était pas vraiment une, et en même temps qu'il la prononçait, il fit un pas vers Conrad.

« Il ne vaudrait mieux pas, une simple exposition à l'air libre suffirait à l'endommager. »

Le contrebandier recula négligemment son bras et crut entendre les bouteilles s'entrechoquer dans leurs caissons. L'officier, lui, semblait ne s'être aperçu de rien.

« Êtes-vous sûr que cette marchandise est légale sur ce monde ?

— Parfaitement sûr, lieutenant », assura Conrad en lui tendant un faux récépissé.

Bien qu'il ait repéré que son interlocuteur n'était encore qu'un aspirant au regard des bandes cousues sur son uniforme, il tentait de flatter son ego.

L'officier eut un imperceptible mouvement de sourcils, inspecta le papier pendant quelques secondes, et le rendit à Conrad.

« Très bien capitaine. Bon séjour chez nous. »

La révolte des mondesWhere stories live. Discover now